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Accueil des « réfugiés » ukrainiens : A-t-on été assez préparé ?
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Accueil des « réfugiés » ukrainiens : A-t-on été assez préparé ?

Accueil des « réfugiés » ukrainiens : A-t-on été assez préparé ?

Quatre mois après le début de la guerre, 600 Ukrainiens seraient encore présents dans le Loiret, dont environ 300 à Orléans. Cette arrivée massive, qui avait dû être gérée très rapidement par les autorités et les associations locales, a laissé place aujourd’hui à des sentiments mitigés, entre choc culturel, difficultés de communication et tracasseries administratives. Mais aussi de beaux exemples de débrouillardise et de solidarités.
Benjamin Vasset
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Fin mai, la Préfecture du Loiret indiquait que, depuis le début de la guerre en Ukraine, plus de 870 ressortissants ukrainiens — dont 238 enfants – avaient déjà été accueillis dans le département. D’après les chiffres fournis la semaine dernière par la mairie d’Orléans, ils seraient encore 300 à vivre aujourd’hui sur le territoire orléanais au sens large. Il y a presque quatre mois, quand les chars russes sont rentrés en Ukraine, un immense élan de générosité a été observé pour accueillir ces enfants et ces femmes — en majorité – qui fuyaient leurs pays. Souvent parce que cette situation réveillait en eux quelque chose de leur propre histoire familiale, plusieurs dizaines d’Orléanais se sont spontanément proposées pour ouvrir les portes de leur logement. 

Très vite, ces familles d’accueil se sont aperçues que nombre d’Ukrainiens étaient encore plus fâchés qu’eux avec l’anglais, et que cela allait occasionner quelques menus soucis de communication. Alors, même si Google Translate est rapidement apparu comme l’outil de base pour se parler au quotidien, il a plus rarement permis de rentrer dans le fond des choses. De sorte que plusieurs familles d’accueil, qui avaient certainement « fantasmé » cette expérience, en ont finalement été un peu déçues, pour ne pas dire plus. Pensant qu’elles allaient sans doute partager davantage avec ces ressortissants ukrainiens, elles ont parfois déchanté : ces deux ou trois mois de cohabitation ne se sont pas toujours transformés en une auberge espagnole faite d’échanges culturels et de sourires complices. Comment expliquer cet écart entre leur attente et la réalité des faits ? « On n’a peut-être pas compris assez vite qui étaient ces réfugiés, analyse Baptiste*, qui a accueilli chez lui une Ukrainienne, Irina, et son jeune enfant. Les Ukrainiens sont un peuple assez fier et assez froid », qui n’est pas franchement habitué à partager les repas en collectivité, comme c’est la tradition en France. Un petit exemple parmi d’autres qui a parfois contribué à tendre des relations cependant nées, rappelons-le, dans un contexte très particulier. 

Choc des cultures

À Saint-Denis-en-Val, Sébastien, qui a accueilli deux mineurs au sein du domicile familial, évoque ce « manque de communication » au quotidien. « Il y a eu finalement très peu d’interactions, détaille-t-il. Peut-être parce qu’ils avaient peur de gêner, mais le fait est que ces deux adolescents ont été globalement distants avec nous et nos enfants, sauf avec le plus petit. On aurait aimé échanger un peu plus, parce que mine de rien, on donne beaucoup de choses. En fin de compte, et même s’ils ont été adorables, il n’y a pas vraiment eu d’atomes crochus. Dans un sens, oui, c’est un regret. » « Certaines familles ont oublié que ces Ukrainiens cherchaient d’abord un endroit où se sentir en sécurité », précise Baptiste, qui pointe également le fait que « toutes les familles n’ont pas accueilli pour de bonnes raisons : certains ont voulu flatter leur ego et briller en société ». Habitué à accueillir des voyageurs, Baptiste raconte avoir lui-même dû s’adapter à une promiscuité d’un autre type. « Sur le plan sanitaire, il y a quand même de sacrées différences, souffle-t-il. Pour eux, manger gras et salé, ce n’est pas un problème. Un autre point de divergence, c’est la gestion des écrans chez les enfants : sur ce sujet, c’est compliqué d’imposer des limites à son gamin tandis que le petit Ukrainien, lui, peut faire ce qu’il veut. En deux mois, j’ai vraiment découvert une notion de parentalité différente : nous très en mode cocon, eux dans une forme de responsabilisation extrême dès le plus jeune âge. » 

Comment dire des choses à un enfant qui n’est pas le sien ? Par extension, cette question de la distance à avoir entre hébergeant et hébergé est rapidement apparue au centre des préoccupations quotidiennes des familles. Jusqu’à quel point aller vers l’autre sans être intrusif ? « Être famille d’accueil, ça ne s’improvise pas, estime Laurence*, dont le logement, au sud de la métropole, abrite aujourd’hui Olga et ses deux ados. Moi, j’ai été éducatrice : accueillir, je l’ai déjà fait, j’étais déjà préparée à ça. Au quotidien, je fais ma vie, dès fois nous jardinons ou nous mangeons ensemble, et j’essaye de l’accompagner quand elle a
besoin de moi.  »

Cellules spéciales

« Le choc culturel, on n’avait pas pris la mesure de ça : ni nous, ni les familles, ni les accueillants », reconnaît à ce propos Régine Bréant, adjointe orléanaise aux solidarités et vice-présidente du CCAS de la ville, structure qui accompagne au quotidien 121 Ukrainiens arrivés de Pologne dans deux cars spécialement affrétés à cet effet les 17 et 18 mars derniers. Est-ce à dire que cet accueil massif de personnes déplacées n’a pas été assez préparé en amont ? Vu l’urgence, il aurait été difficile, à l’époque, d’anticiper davantage les choses. Le CCAS a ainsi dû adapter en quatrième vitesse ses équipes à des missions nouvelles. Après la mise en place d’une cellule « Ukraine », le CCAS a d’ailleurs activé depuis la fin du mois de mai une cellule « logement » pour permettre aux Ukrainiens de trouver un logement pérenne. Aujourd’hui, cinq agents travaillent à temps plein dans ce « commando » (très pacifique) qui doit gérer un tas de petits ou gros soucis, du document manquant à la bête contrainte pratique. Car dans des tâches qui pourraient paraître anodines, le diable vient se nicher dans les détails. « On peut parfois être stoppé par du pur administratif, explique Régine Bréant. Par exemple, nous avons pour mission d’aménager les logements des réfugiés ukrainiens. Sauf qu’au CCAS, nous n’avons pas de camionnettes. Or, vous conviendrez que pour aménager un logement, cela peut être utile… Le problème, c’est qu’on ne peut pas louer de véhicule, parce qu’un CCAS ne dispose pas de carte bancaire. Alors, j’en profite pour lancer un appel dans vos colonnes : si quelqu’un a une camionnette à nous prêter… »

Les Ukrainiens « privilégiés » ?

Parce que certaines familles d’accueil tirent aujourd’hui la langue ou parce que les vacances d’été arrivent, le relogement des déplacés ukrainiens est devenu urgent. À son niveau, le CCAS d’Orléans, qui porte la mission d’intermédiation locative, doit désormais reloger 44 familles, avec le but d’en avoir terminé d’ici la fin de l’automne. Un objectif inatteignable ? Pas forcément. « Certains ne toucheront pas moins qu’un smicard français », glisse d’ailleurs un accueillant. Car en comptant l’Allocation pour Demandeurs d’Asile (ADA), les APL, les allocations et parfois le fruit de leur travail, les Ukrainiens peuvent avoir de quoi payer un loyer, peut-être pas celui d’un palace, mais au moins celui d’un logement social. 

Aider ces personnes meurtries par la guerre sans donner l’impression que « tout est facile en France », tel est d’ailleurs le sinueux fil d’Ariane sur lequel les associations et les autorités doivent marcher. Ainsi, depuis le 31 mai, le prix de l’abonnement sur les réseaux TAO, dans la métropole d’Orléans, n’est plus « offert » aux réfugiés ukrainiens, même s’il reste accessible au tarif – social – de 10,40 € par mois. « Je pense qu’il est bon que ces personnes s’aperçoivent que tout n’est pas gratuit, justifie Régine Bréant. Sinon, on peut rapidement créer une forme de ressentiment et d’injustice ; et c’est comme ça qu’on peut monter les gens les uns contre les autres. C’est le même principe qu’on doit appliquer en interne : au CCAS, on a certes monté une cellule Ukraine, mais il faut aussi que le travail soit fait à côté. On ne peut pas dire aux autres publics qui ont besoin de nous : “On vous laisse tomber parce qu’il y a Ukraine.” » Ne pas privilégier une souffrance par rapport à une autre : ce questionnement moral a remué plusieurs travailleurs sociaux ayant œuvré ces dernières semaines sur la problématique ukrainienne. « Pour la population ukrainienne, tout a été simplifié, exprime l’un d’eux. C’est très bien pour eux, mais la leçon que je tire de tout ça, c’est qu’en France, il y a des choses qui peuvent être accélérées… À notre niveau, ça peut cependant être déstabilisant, parce ce qu’on a mis en place dans l’urgence pour ces personnes, on l’a fait, d’une certaine façon, au détriment d’autres publics. »

Paternalisme et solidarité

Les CCAS et les associations partenaires ont ainsi été largement mis à contribution ces dernières semaines pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens. Mais quand ils ont été débordés – et cela a pu être le cas au début du conflit –; la solidarité et le système D ont dû jouer à plein. Pour mettre en ordre la situation administrative d’Olga, Laurence s’est ainsi chargée elle-même de toutes les démarches pour créer un compte en banque ou pour l’inscrire à Pôle Emploi et à la Sécu. Et pour que ses enfants puissent être inscrits dans une école, elle a aussi pris son téléphone et secoué le cocotier. « Notre interlocuteur à l’Aidaphi (voir encadré) est un type super, mais il était débordé, alors je me suis démerdée toute seule, raconte Laurence. Et puis des gens du quartier m’ont aidée au quotidien : on m’a même mis des tee-shirt dans la boîte aux lettres ! » Ailleurs dans la métropole, Sébastien et son épouse ont payé pendant deux mois et demi ce qu’ils mettaient dans l’assiette de leurs deux jeunes mineurs ukrainiens hébergés : « On a calculé qu’on en avait eu pour 70 € de nourriture par semaine pour chacun, plus les 10 € d’argent de poche qu’on leur donnait ». Tout ça de leurs poches, puisqu’étant arrivés par l’entremise de la Fédération Française de Handball et d’un club de hand local, les deux jeunes hommes, mineurs, ont dû attendre d’être pris en charge par le Département du Loiret. « Pendant un mois, on n’a pas eu de nouvelles, raconte Sébastien. Puis il y a trois semaines, le Département a envoyé du monde à la maison pour faire une enquête et les prendre ensuite sous tutelle. Mais en attendant, ces deux gamins n’ont rien touché… » Les deux ados en question sont pourtant repartis dimanche dernier de leur chef pour l’Ukraine, avec une première étape à Paris. Sébastien, pas chien, leur a acheté leurs billets de Flix’Bus. Toujours à ses frais. « Est-ce qu’on compte réclamer quelque chose ?, lui demande-t-on. Non, parce qu’on n’a pas fait ça pour l’argent. »

Encore plus avec des mineurs, il aura parfois été difficile, pour des familles d’accueil, de ne pas se sentir responsables du sort des personnes qu’elles hébergeaient. Parfois, d’ailleurs, elles ont pu en faire un poil « trop », dans un élan paternaliste qui a irrité certains déplacés. « On s’inquiétait un peu », admet ainsi Sébastien, qui avoue d’ailleurs avoir eu « un pincement au cœur » quand ses deux visiteurs sont finalement repartis, dimanche dernier. Même si tout ne fut pas rose, des souvenirs communs resteront, voire plus : Baptiste pense ainsi qu’il reverra Irina, d’autant que le fils de cette dernière a fini par l’appeler « papa ». Quant à Olga, elle confie que ses deux enfants s’inquiètent déjà de savoir s’ils continueront à voir Laurence une fois qu’ils seront partis de chez elle. Malgré les silences et certaines incompréhensions, personne, Orléanais comme Ukrainien, n’oubliera cette parenthèse de quelques semaines. « C’est une aventure, on a appris au fur et à mesure, comme toujours avec l’humain », résume Régine Bréant. L’école de l’humilité, en quelque sorte.

* les prénoms ont été changés. 

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