Quel bulletin de santé donneriez-vous de l’université d’Orléans en cette fin d’année scolaire 2021/2022 ?
Il est contrasté. Nous sommes certes dans une dynamique de projets porteurs, avec l’installation d’une formation de médecine et le déménagement à venir de la fac de Droit-Économie-Gestion (DEG) en centre-ville, mais il y a une réelle fatigue des services, due notamment à une croissance accélérée des effectifs.
On parle beaucoup de crise des vocations chez les profs du secondaire. Et à l’Université ?
Nous n’avons pas vraiment de difficultés à recruter des enseignants-chercheurs, car il n’y a pas beaucoup de postes. Maintenant, si vous englobez dans le terme « crise de vocations » les inscriptions en doctorat, oui, il y a une petite tendance à la baisse, qui n’existe cependant pas qu’à Orléans. Mais quand l’économie va bien, les étudiants hésitent à se projeter vers une thèse, d’autant plus que le doctorat n’est pas toujours reconnu à sa juste mesure dans les entreprises, surtout dans les sciences humaines. Donc, oui, on peut craindre une baisse des vocations dans les années à venir, d’autant plus que les conditions de travail actuelles sont plus difficiles, avec davantage d’étudiants, moins de postes, et des moyens assez tendus.
Visiblement, vous avez aussi des difficultés à trouver du personnel administratif et technique…
Oui, nous avons une vingtaine de postes vacants et, sur certains, nous n’avons même pas de candidats, je pense notamment à ce qui a trait à l’informatique et aux marchés publics. Le problème est que nous sommes tenus par des grilles salariales de la fonction publique qui sont en deça de ce que l’on peut trouver ailleurs. L’université d’Orléans, qui fait travailler plus de 2 000 personnes, n’est pas en dehors de la société : elle fait face aux mêmes problématiques que les autres employeurs de la région…
Diriez-vous que l’université d’Orléans est aujourd’hui plus attractive qu’il y a dix ans, alors qu’il y a eu ces dernières années des affaires judiciaires, des soucis d’ordre financier, une élection à rallonge à la présidence…
Il faut distinguer l’attractivité auprès des étudiants et des futurs personnels, et l’image. Entre 2016 et 2021, malgré le déficit d’attractivité supposé, il y a eu une croissance de 25 % des effectifs. Après, quand j’entends des professeurs de lycée dire à leurs élèves de ne pas aller à l’université d’Orléans, c’est vrai qu’il y a un déficit d’image… Cependant, certaines de nos formations sont dans le Top 10 mondial, comme notre master d’Économétrie. Nous refusons également du monde en droit, et Polytech ou l’IUT sont pleins. Je pense qu’à l’avenir, trois choses vont faire évoluer l’image de l’université : l’opération Madeleine, le développement de l’Université européenne Athena – à laquelle nous appartenons – avec des possibilités de formations à cheval dans neuf sites européens et, bien sûr, l’arrivée d’une formation en médecine.
Justement, si on vous avait dit il y a un an que vous devriez organiser l’arrivée d’une faculté de Médecine à Orléans, vous l’auriez cru ?
Nous travaillions déjà sur ce sujet avant les élections. Bien sûr, on nous disait que ce serait impossible, mais comme on nous avait dit que nous n’accueillerions jamais une école universitaire de kinés… Disons que, sur ce dossier, il y a eu un alignement de planètes exceptionnel, un front uni de tous les acteurs – et pas seulement politiques – de la région. J’insiste : ce front commun a énormément pesé. Avant, les ministères n’imaginaient même pas qu’il y avait un problème de médecins à ce niveau-là dans une grande ville comme Orléans. Et puis, les jeux politiques, avec des gens qui essayaient de tirer la couverture à eux, se sont mis en sourdine : tout le monde s’est mis ensemble. Enfin, il y a eu une décision courageuse de Jean Castex, car pas mal de conseillers dans plusieurs ministères n’étaient pas tous convaincus par ce projet. C’est une décision qui lui revient, une vraie décision politique.
L’annonce par la mairie d’Orléans d’une formation en lien avec Zagreb a-t-elle fait bouger les lignes, comme le disent les élus orléanais ?
Nous avons tous ramé dans le même sens – ce qui n’est pas si courant que ça – et tous les coups de rames ont servi.
Qu’est-ce que cette arrivée d’étudiants en médecine nécessite concrètement en termes d’investissement pour l’université d’Orléans, qui part d’une feuille blanche ?
25 postes hospitalo-universitaires et 21 postes de « chefs de clinique » vont être créés, ainsi que des personnels administratifs et techniques. Le tout pour un budget de l’ordre de 8 à 10 M€. À la rentrée de septembre, nous aurons 10 % en plus de ce que nous avions initialement estimé : j’en tire comme conclusion une réelle volonté de nous accompagner. Pour le PASS (Parcours d’Accès Spécifique Santé), nous avons déjà recruté trois ATER (Attachés Temporaires d’Enseignement et de Recherche), un enseignement temps-plein, deux postes administratif et scolarité et un en ingénierie pédagogique. Pour le moment, les engagements sont donc tenus. Maintenant, pour la fac de Médecine, il nous faut de la recherche : nous avons déjà identifié des laboratoires et nous réfléchissons à la possibilité d’en faire naître d’autres. La transformation du CHRO en CHU va également entraîner des changements dans la gouvernance et la structuration de l’hôpital. Toutes ces dimensions nous permettront de faire la bascule sur la fac de médecine en 2025.
Pourquoi l’université n’a-t-elle pas rejoint l’association Loire et Orléans Santé lancée par la mairie d’Orléans ?
Parce que nous sommes un opérateur d’État et que l’État nous a demandé de créer une faculté de médecine – et un CHU – en très, très peu de temps. Or, je vous rappelle qu’il n’y a pas eu de création de fac de Médecine en France depuis 1971 et que le dernier CHU, celui de Tours, date de 1972… Donc, je pense que ce projet nous suffit, et que nous avons une obligation de résultats. On ne peut pas se permettre de regarder autre chose.
Quels sont aujourd’hui vos rapports avec Serge Grouard, qui avait eu des mots assez virulents à votre encontre en début d’année ?
Ce qui est assez paradoxal, c’est que nous visons le même objectif, mais que nous travaillons peut-être différemment. Aujourd’hui, nos relations sont bonnes, même s’il a pu y avoir des tensions. Quant aux propos tenus, plusieurs personnes m’ont alerté, mais je ne les ai pas écoutés : tout cela m’est un peu égal. Mon objectif, c’est que les étudiants soient bien formés et aient un travail en sortant de l’université.
Mais quand même, avec votre collègue de Tours, vous aviez qualifié en février ce projet Zagreb de « Far West universitaire »…
La question que j’ai posée était plus large que Zagreb : je demandais en fait si, aujourd’hui, en France, chaque acteur politique pouvait faire venir une formation sans qu’il n’y ait aucune concertation locale ou nationale, alors même que nous sommes dans un modèle de diplômes nationaux, avec un fort engagement de l’État (même si nous sommes tous devenus autonomes). Le modèle proposé avec la venue de Zagreb peut engendrer un changement de modèle, dans lequel on dérégule complètement. Maintenant, sur le projet Zagreb précisément, nous maintenons toujours, aujourd’hui, les inquiétudes que nous avions sur la reconnaissance du diplôme et sur la problématique des stages.
Certains syndicats étudiants soulèvent régulièrement des problèmes de qualité du logement étudiant. L’université compte-t-elle impulser, avec des partenaires, un plan de rénovation des logements dans les résidences du CROUS, notamment ?
Je rappelle d’abord que le CROUS, ce n’est pas l’université et, comme avec un voisin, je ne me mêle pas de ce qui se passe chez lui. Cela étant dit, personne n’ignore que la situation du CROUS Orléans-Tours est très compliquée financièrement et nous inquiète : ce n’est d’ailleurs pas que le CROUS ne veut pas faire de travaux, c’est qu’il ne peut pas les faire. Il a un clair besoin de refinancement.
Toujours sur le plan de l’immobilier, quelle note globale mettriez-vous aujourd’hui aux bâtiments dans lesquels les étudiants travaillent ?
On est dans une bonne moyenne nationale, même s’il existe une très grande disparité. Sur certains de nos sites distants (Châteauroux, Chartres, Bourges…), il y a vraiment de supers locaux. Ici, sur le campus de La Source, il existe aussi des bâtiments qui sont en excellent état quand ils viennent d’être construits, comme l’IUT. Après, il y a le problème du financement de l’entretien, et sur ce sujet, les budgets sont trop faibles. Après, je suis d’accord pour dire qu’il va falloir faire quelque chose pour le bâtiment Lettres-Sciences humaines, mais sa rénovation seule coûterait plus de 12 M€. C’est bien au-delà des capacités de l’université…
Ces budgets sont inscrits pour la plupart dans les Contrats de Plan État-Région, qu’y a-t-il sur ce volet dans le nouveau CPER ?
Des crédits pour les bâtiments de médecine, principalement. Mais c’est obligatoire : on ne va pas laisser dehors tous ces nouveaux étudiants…
L’université d’Orléans a-t-elle « laissé tomber » ses étudiants en situation de précarité pendant le Covid ?
Même pendant la crise, et bien que j’aie toujours refusé de communiquer dessus, nous avons mis des choses en place. Nous avons par exemple donné des coups de main discrets à O’SEM, mais il n’y avait pas la nécessité d’en faire la publicité. Pendant le confinement, l’université a aussi distribué des cartes d’achat Leclerc à certains étudiants. Ensuite, dès le début de mon mandat, un guichet AIDE a été créé et a très vite fonctionné. Aujourd’hui, grâce à lui, nous avons un contact réel et régulier avec nos étudiants en difficulté, qui l’ont d’ailleurs bien identifié, et qui nous permet de les mettre en relation avec les services sociaux concernés. Nous n’allons pas enlever ce guichet, loin de là.
L’épicerie sociale ouvrira-t-elle bien cet automne ?
Oui, en septembre, et elle sera gérée par l’association ESOPE. J’en profite pour dire que notre rôle, en tant qu’université, n’est pas de nous substituer aux services sociaux spécialisés ou aux associations caritatives, mais de les accompagner aussi discrètement et efficacement que possible.
Avant le deuxième tour de la présidentielle, la Conférence des Présidents d’Université, dont vous faites partie, avait publié un communiqué appelant à faire barrage à l’extrême-droite…
Avant la présidentielle, l’université d’Orléans avait fait le choix d’accepter la discussion politique sur le campus, mais dans un certain cadre, parce que c’est son rôle de maintenir cette effervescence intellectuelle. Ce que l’on vit actuellement, avec les résultats des élections, doit réveiller les universités sur leurs rôles : il y a aujourd’hui une banalisation de certains propos qui n’étaient pas possibles il y a encore deux générations. L’Université doit interpeller sur le sens des mots, l’histoire et les mécanismes qui construisent par exemple à des génocides. Nous avons un rôle d’alerte et d’explication, mais après, chacun prend sa décision en connaissance de cause. J’estime pour ma part que l’on n’a pas à dire à nos 21 000 étudiants ce qu’ils doivent voter.
Question subsidiaire : l’« islamo-gauchisme », ça existe à l’Université ?
Tout ça, c’est de la polémique, et c’est bien dommage, parce que ces polémiques peuvent avoir des implications extrêmement fortes sur les personnes qu’elles touchent. Nous avons d’ailleurs eu ici une jeune collègue qui a été prise à partie sur Twitter, et j’ai été un peu inquiet pour elle…
Au fait, l’université d’Orléans est-elle de gauche ou de droite ?
Combien de grèves avez-vous vu à l’université d’Orléans sur les dernières années ? Je pense surtout que l’université d’Orléans est peu politisée.
À propos de politique, on a l’impression, de l’extérieur, que le monde universitaire n’a rien à envier au pouvoir politique en termes de rivalités, d’intrigues et de chausse-trappes…
C’est le cas dans toutes les universités du monde. Quand on est professeur d’université et qu’on fait de la recherche, on crée des idées nouvelles, on les défend, et on est donc, je dirais, un peu convaincu. Il y a chez nous beaucoup de personnes qui ont à la fois des idées et de la personnalité. Alors oui, nécessairement, de temps en temps, il peut y avoir des sons de voix…
C’est pour ces raisons que l’élection à la présidence de l’université a été si longue ?
C’était un peu plus compliqué que ça : il n’y avait pas que des raisons internes à l’université. Mais aujourd’hui, l’université fonctionne, le conseil d’administration tourne. Pourquoi ? Parce que les collègues sont avant tout des universitaires et que chacun est revenu à son fonctionnement classique après une phase politique qui a peut-être été, c’est vrai, un peu trop marquée…