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« Former 200 médecins de plus en région, une urgence absolue »

« Former 200 médecins de plus en région, une urgence absolue »

Cinq jours avant l’annonce de Jean Castex, nous avons rencontré le docteur Stéphane Bathellier, directeur du SAMU du Loiret, porte-parole d’un collectif de médecins et de patients demandant la formation immédiate de 200 médecins supplémentaires en région Centre-Val de Loire. Dans cet entretien, il avance les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés à un tel niveau de pénurie médicale.
Benjamin Vasset
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Comment a été créé ce collectif qui demandait à former 200 médecins supplémentaires en région, et qui regroupe-t-il aujourd’hui ?

Au départ, nous étions une cinquantaine de médecins et de patients, tous motivés pour essayer de résoudre cette pénurie médicale qui s’installe en région Centre-Val de Loire. Tout le monde en France, même en PACA, a l’impression de la connaître, mais il y a pénurie et pénurie : dans le Loiret, 25 % de la population n’a pas de médecin traitant. Des gens de 85 ans n’en ont déjà plus et n’ont tout simplement plus de suivi, plus de prise en charge globale. Aujourd’hui, des médecins qui partent à la retraite signent des ordonnances pour un an à leurs patients de 90 ans qu’ils ne reverront plus… C’est surréaliste ! Et pire que tout, on voit arriver une forme de renoncement aux soins.

Cette pénurie dont vous parlez contribue-t-elle également à ce que de plus en plus de gens se tournent vers des médecines dites alternatives ?

C’est difficile à dire. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’il y a des gens qui ne partent pas toujours sur des bons rails et que nous récupérons avec des maladies ayant atteint un stade évolué. Nous commençons juste à en mesurer les effets, et cela va mettre quelques années à apparaître dans les stats. Il y a un sentiment de loupé, de « perte de chance », et au bout, c’est le patient qui trinque. Le Loiret a une population qui grimpe de 3 à 5 % par an ; or nous avons déjà pas mal de nouveaux arrivants qui nous disent qu’ils ne trouvent pas de médecin, en nous avouant que s’ils avaient su, ils ne seraient pas venus dans le Loiret…

En quoi le SAMU que vous dirigez est impacté par cette pénurie médicale ?

Nous avons une explosion des appels concernant la permanence des soins, c’est-à-dire des appels non urgents. C’est ça que je n’arrive plus à gérer.

D’où, donc, ce vœu et cette pétition pour former 200 médecins de plus en région Centre-Val de Loire dès la rentrée de septembre 2022. Comment en êtes-vous arrivés à un tel nombre ?

Il y a vraiment urgence et nous pensons que le pire est à venir. Si l’on continue comme ça, en 2030, il y aura 126 médecins de moins par rapport à aujourd’hui. C’est simple : la moitié de la population à Orléans n’aura pas de médecin généraliste. C’est juste impossible, on ne pourra pas faire. En 2040, la situation commencera à s’améliorer, mais très doucement : on reviendra à peine aux niveaux de 2015-2020…

Ces dizaines de médecins formés de plus, c’est donc, pour vous, LA solution ?

Si on les « prend » en juin 2022, ces médecins seront internes dans 5 ans et, sur le papier, en capacité de poser leur plaque dans 8 ans. C’est du moyen terme, mais j’insiste : il faut prendre les décisions MAINTENANT. Cette mesure est à la fois urgente et indispensable. Après, sur le court terme, on a d’autres idées, comme mettre davantage en adéquation l’externat et l’internat. Se pose aussi la question des étudiants qui se sont formés à l’étranger. Ici, en région Centre-Val de Loire, on a empêché nos gamins de faire médecine : du coup, ils sont partis à l’étranger (Roumanie, Portugal…) pour se former. Quand ils reviennent faire leurs stages, la France leur met dans bâtons dans les roues, et ce sera aussi le cas, bientôt, quand ils reviendront faire leur internat. Car dans l’esprit de certains, ces jeunes médecins ont triché, et il ne faut pas qu’ils puissent rentrer. Mais c’est n’importe quoi ! Il faut au contraire faciliter le retour de ces médecins sur la base du volontariat, en les attirant. Accueillons-les, ouvrons-leur des stages et l’internat en région Centre-Val de Loire, car je vous l’assure : ils font de très bons médecins.

La fac de Tours a dit qu’elle n’avait pas d’assez d’enseignants pour créer 200 places en plus…

La décision finale ne se prendra ni à Orléans ni à Tours (entretien réalisé avant l’annonce de Jean Castex, ndlr), mais à Paris. Mais le problème, parfois, c’est qu’on a l’impression que les ministères ont une vision totalement « macro », qui ne prend pas en compte le fait qu’il y a des déserts médicaux plus graves que d’autres.

Alors que tout le monde semblait d’accord, pourquoi rien –ou presque – n’a bougé ces dernières années pour augmenter le nombre de médecins formés en région ?

Parce que les politiques passent et que les ministères restent. Et les ministères n’ont pas les mêmes ressentis que nous. Pour eux, on peut aller dans des cabines de téléconsultation et l’informatique va tout résoudre… Le grand concept à la mode, c’est « libérer du temps médical », grâce notamment aux Infirmières en Pratiques Avancées (IPA). Les IPA, très bien, mais au CHRO, on manque déjà de 170 infirmières, et de 350 dans le Loiret. Ces infirmières, comment va-t-on les « fabriquer » ? C’est une solution complètement déconnectée de la réalité du terrain. Une IPA ne remplacera jamais un docteur, et ce n’est pas du corporatisme que de dire ça. Elles vont certes gérer un certain nombre de choses, optimiser un peu le temps du médecin, mais je suis désolé, médecin et infirmier, ce n’est pas la même formation. Et puis, si on veut des infirmières en pratiques avancées, il faudra quand même leur proposer une rémunération plus attractive…

Pourquoi ce problème du nombre de médecins formés n’a-t-il pas été pris en compte bien avant ?

Le numerus clausus s’est mis en place dans les années 70, parce que certains médecins disaient qu’il y avait trop de praticiens et qu’ils n’arrivaient plus à manger. Ils ont « bloqué » l’accès aux études de médecine pour pouvoir vivre correctement. De plus, dans les années 80, on a pensé qu’en diminuant le nombre de médecins en France, on ferait des économies sur les remboursements. Et il y a finalement eu un consensus mou autour de cette question pour que ce système continue. Quand je suis entré en deuxième année de médecine, au milieu des années 80, le Doyen de la fac de Médecine nous avait pourtant prévenus que notre fin de carrière serait un cauchemar…

Pensez-vous, plus globalement, que la région Centre-Val de Loire et le Loiret sont assez « attractifs » pour convaincre les jeunes médecins de rester sur leur territoire ?

Il faut arrêter de se prendre la tête (sic) avec ça : ici, c’est quand même pas mal ; on n’est pas loin de la mer et de la montagne… Par contre, quand on parle d’attractivité, c’est aussi sous l’angle professionnel. Un médecin, quand il est seul, il ne sait pas faire. Et on voit qu’aujourd’hui, toutes les spécialités sont touchées par le manque de praticiens en région Centre-Val de Loire. Ce qui veut dire que la pénurie appelle la pénurie et qu’elle s’auto-
aggrave. Aujourd’hui, nous sommes donc à la croisée des chemins : les conditions actuelles commencent même à dissuader des médecins de s’installer dans la région. Le taux de fuite s’aggrave, même Tours le dit…

Qu’est-ce que cela vous fait de voir qu’on parle de beaucoup de choses durant la campagne présidentielle mais assez peu de santé, alors qu’il s’agit d’une des préoccupations majeures des Français ?

Les politiques sont tétanisés. Pour eux, le sujet de la santé est le plus à risques, parce qu’il y a plein de paramètres qu’ils ne maîtrisent pas et que cela implique des décisions qui ne seront visibles que sur le moyen ou le long terme. Pourtant, je pense qu’on est à la veille du plus gros scandale sanitaire qu’on ait connu depuis le sang contaminé. Des gens commencent à demander des comptes : les maires de Bourges et de Vierzon ont commencé à attaquer et porter plainte contre l’hôpital de Bourges parce qu’il n’y avait plus de SMUR et plus de service d’urgences. Il faut donc – j’y reviens – une réaction immédiate.

Pourquoi le sujet de la liberté d’installation est-il si tabou ? Pourquoi ne pourrait-on pas contraindre les médecins alors que les pharmaciens, eux, le sont ?

Dire brutalement à des gens qui font aujourd’hui leurs études de médecine : « allez là où vous n’avez pas de projet de vie », je ne suis pas vraiment sûr que ce soit la meilleure chose à faire. Dans les années 70, la meilleure clé de répartition des médecins, c’était la surpopulation médicale : pour pouvoir manger, les médecins allaient à la campagne. Après, si le « contrat » est passé au départ des études de médecine, ça ne me pose aucun problème. Même si, pour moi, il serait plus cohérent de dire qu’il y a zéro installation possible dans des zones déjà bien dotées. Voire même d’augmenter le montant d’une consultation si un médecin va s’installer dans le fin fond de
la Creuse.

Ce type d’incitations ne ressemble-t-il  pas déjà à ce qui est mis en place par l’ARS avec les différentes sectorisations territoriales, ou via des aides à l’installation émanant de communes, par exemple ?

Les exonérations d’impôts pour les médecins, qui ne sont pas une population paupérisée, je ne suis pas pour. Attention aussi à tous ces processus incitatifs, qui prennent parfois le visage d’une course à l’échalote, avec des médecins débauchés entre communes à « coups de dollars » (sic). Ce n’est pas très glorieux, ni pour les médecins, ni pour les mairies. Qu’il y ait un peu d’aides sur l’immobilier quand il est très cher dans certaines grandes villes, pourquoi pas, mais qu’un médecin loue et finance son cabinet, c’est quand même la logique… 

Est-ce qu’on a raison quand on dit qu’aussi, aujourd’hui, les médecins en font tout simplement moins que leurs prédécesseurs ?

La typologie des médecins a changé, de même qu’il y a plus de femmes médecins. Souvent, elles sont mariées à des cadres sup’ ou à des ingénieurs, mais elles restent le deuxième salaire du couple. Alors quand Monsieur mute, Madame suit, ou arrête de travailler. Et c’est là que je vois la décision politique arriver : prendre des mesures pour que les médecins aillent s’installer dans des secteurs sous-denses. Le risque, c’est une mise en parenthèses de la carrière, voire un abandon de la profession. La France est paradoxalement l’un des pays qui forme le plus de médecins et qui a les pénuries les plus graves. C’est peut-être que le médecin ne trouve pas le bonheur, aujourd’hui, dans la société.

Vous-mêmes, personnellement, comment vous « sentez »-vous dans votre pratique ?

Je n’ai pas envie de partir au nord de la mer, parce que je pense qu’il faut affronter les choses. Mais il faut que la société réfléchisse au relationnel qu’elle entretient avec ses médecins. Actuellement, il y a un vrai sentiment de perte de sens, un sentiment de crise identitaire pour les médecins, mais aussi chez les infirmiers et les aides-soignants.

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