Ils se nomment Trololo Vélo, Jeanne à Vélo ou Yann d’Orléans. Sur Internet et la « Twittosphère » notamment, ils sont particulièrement actifs pour dénoncer les errements supposés des collectivités locales en termes de politique cyclable. Ils estiment, pour résumer, que les élus en charge de ce dossier n’en font pas assez, ou pas bien, ou sans réelle visée à long terme. Pour autant, ces usagers, souvent membres du collectif Vélorution, se défendent d’être des « ayatollahs » du vélo, comme on les qualifie parfois. « On ne veut pas interdire la voiture, disent-ils. Nous pensons juste qu’elle doit juste rester à sa place. »
Et sa place, ce n’est pas, selon eux, sur les trottoirs ou sur les pistes cyclables de l’agglomération orléanaise. D’ailleurs, ce genre de pratiques met bien souvent hors d’eux ces usagers, qui dénoncent sur Internet ces « GCUM » (« Garés comme une merde ») en postant sur les réseaux sociaux des photos de ces bagnoles squattant des emplacements qui ne leur sont pas destinées et empêchant donc piétons et vélos de circuler. Quand on leur dit que la diffusion de ce type d’images sur les réseaux peut s’apparenter à une forme de délation, ces cyclistes revendicatifs s’en offusquent : « la délation, c’est quand on montre quelqu’un du doigt alors qu’il n’a pas fait de connerie. Nous, on dénonce le fait que des gens continuent de se garer sur ces espaces en toute impunité. Malheureusement, ce genre de comportement est rentré dans les mœurs, alors que c’est totalement illégal. Florent Montillot dit que 2 000 véhicules étaient verbalisés tous les ans à Orléans ? C’est très faible. À titre de comparaison, Lille en verbalise 17 000 par an ! »
Changer de braquet
Parce qu’ils ont l’impression que la circulation des piétons et des cyclistes est largement entravée dans l’agglomération orléanaise, ces usagers se sont désormais regroupés sous forme associative. Fin mai, l’association DAMMO (Droit Accessibilité Mobilité Métropole Orléans) s’est constituée dans l’idée de représenter « tous les usagers de la voirie », aussi bien les cyclistes que les piétons et les Personnes à Mobilité Réduite (PMR). Yann Pierens, alias Yann d’Orléans sur les réseaux sociaux, en est son président : « l’un des déclencheurs de la création de cette association, dit-il, c’est lorsque, début 2021, dans une rue perpendiculaire au Faubourg Saint-Jean, des trottoirs neufs et aux normes ont été détruits pour en refaire des moins larges afin de permettre aux bagnoles de circuler, sous la pression de quelques riverains. Là, on a dit stop. »
DAMMO regroupe aujourd’hui, selon son président, une cinquantaine de membres actifs, parmi lesquels trois avocats orléanais. La précision est importante, car très clairement, l’idée de cette association semble d’investir dorénavant le terrain juridique. « Nous, on ne veut pas aller au Tribunal Administratif, on veut dialoguer, lance d’abord Yann Pierens. Après, si on ne veut pas nous écouter, s’il y a des aménagements hors-la-loi sur la métropole d’Orléans, nous n’hésiterons pas à faire valoir nos droits ». D’ores et déjà, les membres de l’association assurent qu’ils vont aller consulter en préfecture pour éplucher des dossiers d’aménagement et voir si les non-conformités qu’ils ont observées dans des communes orléanaises ont été motivées par des dérogations acceptées par le Préfet.
Changer de mentalités
Dans le fond, ces usagers orléanais, et notamment le collectif Vélorution, veulent faire progresser la place du vélo en ville. « À Paris, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, on voit que la pratique du vélo explose, expose Yann Pierens. À Orléans, on sent un frémissement. Mais il faut que maintenant, les élus se lâchent. Les gens ont, aujourd’hui, peur de faire du vélo dans la métropole. Les élus doivent prendre conscience qu’ils doivent nous protéger. » Comment ? En mettant donc les équipements aux normes, mais en avançant clairement, également, sur le réseau des pistes cyclables. « Actuellement, il n’y a pas de maillage cohérent, soupire Yann Pierens. Par exemple, il n’existe aucune continuité pour rejoindre la gare des Aubrais au Poutyl, à Olivet. Quand un étranger arrive en train à Fleury-les-Aubrais, il est paumé : il ne sait tout simplement pas comment rejoindre les bords de Loire à vélo ! » Le Plan Vélo, adopté en 2019 par les élus métropolitains, semble d’ailleurs bien abscons aux yeux de ces usagers. « Comment sont dépensés les 5 M€ par an prévus dans ce Plan ?, se demandent-ils. Combien sont réellement fléchés sur les infrastructures cyclables ? Où va l’argent de la Métropole pour le vélo ? »*
On dit souvent aux membres de la Vélorution que leurs perspectives, tranchées, ne peuvent pas forcément se concrétiser aussi vite qu’ils le voudraient. « Pourquoi prendre du temps ?, répondent-ils. Il y a des choses tellement faciles à mettre en place ! » Ces usagers prennent ainsi pour exemple la fermeture partielle du Pont Royal aux automobilistes, expérimentée l’an dernier après le grand confinement, et qui sera finalement pérennisée. « Nous, on avait proposé des aménagements de ce type dès 2015, mais ils avaient été refusés… », pointent-ils, dans une manière de dire que ce qui bloque finalement pour aller plus loin, c’est la « volonté politique » des élus et le manque de ligne directrice à l’échelle métropolitaine. « Nous n’avons rien contre le vice-président de la Métropole à la politique cyclable. Le problème, c’est qu’il n’a aucun pouvoir pour imposer une décision d’aménagement à une commune*. Alors on fait des bouts d’aménagement, sans cohérence globale. »
Changer la ville
Pourtant, les membres de Vélorution – et de l’association DAMMO – font partie des comités d’usagers qui ont été créés à l’échelle métropolitaine à la fin de l’ère Carré. « Oui, mais on arrive en aval des dossiers, relève Yann Pierens. Dans ce comité, on a parfois l’impression de servir de faire-valoir. » À la Métropole, on répond en substance qu’il est logique que la voix d’élus choisis au suffrage populaire pèse un peu plus que celles d’usagers, même si ces derniers sont des experts en la matière…
Cependant, portés par une vraie conviction écologique, les membres de Vélorution pensent plus globalement qu’il faut désormais « prendre de la place à la voiture et revoir le plan de circulation » à Orléans et dans sa métropole. Et à une autre échelle encore, Yann Pierens estime qu’il y a tout un « système de pensée à revoir ». Car quand on lui fait remarquer que pour aller faire ses courses, il n’est pas tellement aisé, aujourd’hui, d’utiliser un vélo, il répond : « ce vers quoi il faut aller, c’est avoir tout à 15 minutes de chez soi. Orléans, comme beaucoup de villes françaises, n’a pas répondu à cela. Moi, j’ai vécu aux Pays-Bas : j’ai pu passer 17 jours sans utiliser ma voiture. Ici, mon record est de 7 jours… ». Pour lui comme pour ses amis, il est temps, pour les élus orléanais en charge du vélo, de passer sans attendre sur le grand plateau.
* Voir l’entretien avec Christian Dumas, en p.6-7.