Par temps de Covid, l’enseignement s’est transformé. Le calendrier annuel est soumis à des variables épidémiques, les élèves et professeurs portent un masque au quotidien, les salles sont aérées et restent ouvertes, les établissements ont balisé le sens de déplacement par des flèches au sol et les professeurs changent de classe pour éviter le déplacement des foules. Quant à l’agenda, il est accommodé aux contraintes de l’établissement via, pour les lycées, le processus de « l’hybridation ». Un terme un peu barbare, qui renvoie à une alternance entre le temps d’apprentissage en classe et le temps d’apprentissage à la maison.
Lors de son allocution de la semaine passée, le Président a remercié publiquement le personnel de l’Education Nationale pour son implication continue depuis le début de la crise. Sur les 52 semaines pédagogiques de 2020-2021, la France reste en effet l’un des pays d’Europe à avoir gardé ses écoles ouvertes le plus longtemps à ce jour. Le Ministre de l’Education a cependant précisé que, du fait d’une tension dans certains territoires, les rectorats allaient devoir recruter davantage de professeurs remplaçants pour pallier l’absence de personnes à risque. Car la vaccination des professeurs sur le territoire national, tant promise et tant attendue, semble figurer au tableau des absents…
Une charge de travail « largement augmentée »
Depuis qu’ils doivent faire leur travail en temps de Covid, de nombreux enseignants orléanais disent se sentir en situation de stress, « abandonnés » par le Gouvernement qui n’entend pas leurs inquiétudes, « démunis » face aux risques croissants ou tout simplement « épuisés » ; ils poursuivent leurs efforts grâce à une résilience qui n’est pas neuve : le « goût de transmettre » était déjà, avant la pandémie, leur raison de se lever tous les matins.
Dans les salles des profs des établissements orléanais, il y avait, jusqu’aux annonces de la semaine dernière, les optimistes et les plus inquiets. On pouvait y entendre des expressions glaçantes : « on nous envoie au casse-pipe ! » ; « j’en ai marre de venir faire cours en risquant la mort tous les jours… », quand ne volaient pas dans les discussions les regrets de devoir annuler un pot de l’amitié non-autorisé, l’échange de techniques pour enseigner à distance avec efficacité ou encore un réquisitoire contre les réformes de Jean-Michel Blanquer, dont le blason semble ternir à une vitesse folle chez les enseignants : le Ministre de l’Éducation fait d’ailleurs l’objet depuis le 29 mars de plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » de la part d’un collectif d’enseignants, appelé Les Stylos Rouges.
Cette période d’enseignement sous Covid a également vu la majorité des professeurs réévaluer leurs plages horaires de disponibilités et gagner en pratique informatique, via les messageries en ligne. Beaucoup s’accordent sur la nécessité de s’adapter à un rythme qui, selon la matière ou la méthodologie du tuteur, nécessite deux fois plus de travail, donc de temps et d’énergie. Si les élèves déjà studieux s’accommodent du fonctionnement hybride grâce à leur autonomie, ceux qui ont besoin de la présence d’un enseignant peinent, tandis que certains lâchent. Et ils ne sont pas les seuls… Un professeur orléanais en BTS, qui souhaite rester anonyme, affirme que l’hybridation éreinte certains de ses collègues : « la charge de travail a été largement augmentée, explique-t-il. Plusieurs ont ainsi été en arrêt quelques temps pour surmenage. Contrairement à ce qui nous est sans cesse répété, enseigner masqué en respectant les gestes barrière n’empêche pas de contracter la maladie. L’une de mes classes a en effet été fortement touchée par le Covid et j’ai été contaminé, malgré le gel et le virucide environnants, ainsi que mes enfants ».
Des élèves « bâillonnés » ?
François, lui, peut témoigner de l’angoisse de ses élèves de Première à l’approche du bac de français, qui sera certainement « annoncé à la dernière minute comme étant du contrôle continu ». Autre son de cloche du côté de Gaëlle, professeure d’économie-gestion, qui a mis en place une visio interactive à domicile depuis mars dernier : « Les jeunes sont nos futurs actifs, on ne peut pas se permettre de les perdre, insiste-t-elle. Leurs acquis doivent se développer, peu importe les circonstances. Il faut aussi leur apprendre à tout âge à se remettre en question… Avec le Covid, cela représente une obligation de communiquer autrement, de se faire confiance. Les élèves en ont besoin psychologiquement, car ils se sentent déstabilisés et inquiets pour l’avenir ». Enseignant en EPS, Jérôme félicite quant à lui ses pairs pour avoir été capable de se réinventer. Bannissant les disciplines collectives du programme scolaire, STEP, badminton, heptathlon et autre ont permis de compenser la nouvelle sédentarité des enfants que confirment prise de poids et effort physique en baisse. « Ça leur permet quand même de se défouler un peu, dit-il. J’encourage d’ailleurs les municipalités à construire davantage de terrains sportifs extérieurs pour permettre à tous de pratiquer davantage et régulièrement… » Bernard, enseignant en philosophie depuis 27 ans, fait partie de ceux qui se plaignent moins de leur quotidien. « En philo, on a moins l’obsession du problème, de notions à égrener et intégrer, souligne-t-il. Les élèves, on les incite à penser par eux-mêmes. Du coup, faire cours à 17 élèves plutôt que 34 facilite la chose… ». Il remarque toutefois que les élèves sont davantage « bâillonnés », du fait du masque et d’un ralentissement de l’effet de groupe.
Depuis le début de la crise, quelles ont été les réponses des décideurs ? En pratique, l’Education Nationale rédige et envoie les protocoles scolaires à mettre en œuvre avec le soutien de l’ARS, qui veille aux rappels sanitaires. Le Ministère sollicite aussi l’équipement complet des personnels en masques. Le rectorat de l’Académie d’Orléans-Tours est, quant à lui, plutôt chargé du versant pédagogique, notamment d’organiser « l’hybridation ». Pour définir le modèle à appliquer, chaque lycée dépose un dossier bâti selon les réalités du terrain et ensuite validé avec la souplesse requise, de sorte qu’il existe autant de modèles d’hybridation que d’établissements.
Un sentiment de solitude
La question de fermer une école se fait, elle, en concertation avec la Préfecture et les médecins locaux. Christophe Lugnot, le directeur de cabinet de l’ARS Centre-Val de Loire, se veut plutôt rassurant face à cette multitude de situations : « à mon sens, il n’y a pas d’endroit où les consignes ne sont pas respectées, veut-il croire. Nous avons constaté une vigilance extrême de la part des élus et des parents. Il se trouve que des demandes de fermeture de classe sont faites dans des cas qui ne le nécessitent pas, car l’aspect médical se double aussi d’un aspect psychologique ». Durant la première partie de l’année, trois cas de variant Covid étaient requis pour fermer une classe. Un système loin d’être idéal selon les enseignants, du fait du temps de latence entre l’observation des symptômes justifiant un test par les parents du malade zéro et la fermeture effective de l’ensemble de la classe. Malgré la mise en place des demi-groupes, la proximité des élèves au self, lors de la récréation ou à l’extérieur de l’établissement, empêchaient d’enfermer le virus au sein d’une même classe. La semaine dernière encore, il suffisait d’un élève contaminé pour renvoyer toute la classe à la maison.
Pour soutenir les enseignants, les initiatives ne sont, hélas, pas légion. Le rectorat organise de nombreuses formations pour apprendre à enseigner à distance depuis le début de la crise, des webinaires créés avec l’aide d’inspecteurs pour que personne ne soit en reste sur le plan pédagogique. Autrement, il convient de s’appuyer, surtout, sur la solidarité entre collègues…
« Le virus touche les plus jeunes »
Alors que l’épidémie a évolué entre mars 2020 (où peu de cas contacts étaient identifiés chez les plus jeunes au sein des familles) et mars 2021, que pensent les épidémiologistes de la circulation du virus dans les milieux scolaires ? Fallait-il fermer plus tôt les écoles ? Le Gouvernement n’a cessé d’expliquer depuis la rentrée de septembre que les enfants n’étaient pas sensibles à l’infection, car ils ne disposaient pas du récepteur sur lequel se tissait le virus. À ce jour, même si cela reste minoritaire, il y a cependant une proportion non-négligeable d’hospitalisations en pédiatrie. De plus, à l’échelle du Loiret, 10 % des patients hospitalisés ont moins de 20 ans. « Le fait est que le virus circule davantage et touche les plus jeunes, probablement à cause du variant anglais », concède aujourd’hui le docteur Prazuck, chef du service maladies infectieuses du CHR d’Orléans.
À quoi faut-il s’attendre aujourd’hui ? La semaine en cours doit accoucher d’un certain nombre de décisions sur les auto-prélèvements nasaux dans les lycées, qui apparaissent plus fiables que les tests salivaires, puisque le résultat est obtenu sous quinze minutes, de sorte qu’associé aux masques, au gel et aux mesures de distance, le risque d’accueillir un élève malade serait nettement réduit.
Plus d’infos
La FAQ de L’Education Nationale
www.education.gouv.fr/covid-19-questions-reponses