Tout le monde est au courant de ce triste diagnostic : les Loirétains ont de plus en plus de mal à se soigner correctement. C’est un drame de santé publique qui touche les habitants et énerve les élus. « Un quart des habitants à Orléans n’a pas de médecin traitant », constate amèrement le maire Serge Grouard (LR), égrainant des chiffres à ne pas mettre sous les yeux d’un hypocondriaque. « En France, il y a 123 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Dans le Centre-Val de Loire, la moyenne tombe à 97,9, dans le Loiret à 63,7, et dans la métropole d’Orléans à 59 ». Qui est arrivé récemment sur le territoire sait à quel point trouver un médecin traitant s’apparente effectivement à un chemin de croix. La semaine dernière, le CESER indiquéait d’ailleurs que la capitale de région était « le pire désert médical du Centre-Val de Loire ». « Orléans va devenir de plus en plus jeune, mais la santé est notre point faible », convient Serge Grouard, qui parle d’une « urgence vitale » et d’une question « de vie et de mort ». Un autre élu local, Marc Gaudet (UDI), président du Département du Loiret, craint même, pour sa part, que les citoyens se retournent un jour vers leurs élus pour « mise en danger. Et on peut même imaginer que, dans un proche avenir, ils demandent des comptes ».
À qui la faute ? À plusieurs années d’inaction en la matière. Mais Serge Grouard met aussi sur la table le trop faible nombre de médecins qui sont aujourd’hui formés en région Centre-Val de Loire. « Seulement 300 par an au maximum, alors qu’il en faudrait au moins 500, et 600 pour être à peu près confortable », estime le maire d’Orléans. Principal accusé, le doyen de la Fac de médecine de Tours, accusé de refuser de gonfler ses effectifs (voir encadré). Pourtant, 30 élus régionaux ont signé ensemble, la semaine dernière, un courrier destiné à Jean Castex pour lui demander de « trouver des solutions au manque criant de médecins » dans la région. Pour Orléans, cette démarche collective ne suffit pas. « Il faut arrêter de faire des ronds dans l’eau », tape sur la table Florent Montillot (UDI), premier maire-adjoint orléanais en charge de la santé.
Mais « qui pourrait s’opposer » ?
Jeudi dernier, le binôme à la tête de la mairie d’Orléans se présente ainsi face à la presse et dégaine une proposition choc : la signature d’un « protocole d’accord » avec la faculté de médecine de Zagreb. Serge Grouard et Florent Montillot en résument la teneur : 50 étudiants maximum doivent commencer, dès la rentrée 2022, à être formés par cette faculté croate, qui bénéficie, selon les élus orléanais, du label européen High Quality. Les étudiants concernés, qui devront passer un concours pour être sélectionnés, recevront des cours en visio et en langue anglaise, qu’ils pourront suivre dans des locaux… à Orléans. Où ? Rien n’est précisé, mais on parle après coup de la rue Jeanne d’Arc, à proximité des
écoles supérieures.
Autre point : les études seront payantes. Serge Grouard et Florent Montillot avancent dans un premier temps des frais d’inscription compris dans une fourchette de 5 à 10 000 €. La mairie promet cependant d’en prendre en charge une partie. L’argent, disent le maire d’Orléans et son bras droit, ne sera pas un problème, d’autant que les bourses versées devraient être conditionnées aux ressources des élèves. « Ce sera payant pour ceux qui auront les moyens de payer », promet Florent Montillot. L’objectif affiché est en tout cas d’accueillir à moyen terme une cinquantaine de médecins par an qui abreuveront le territoire. « Nous voulons fidéliser et inciter les médecins formés à rester au moins cinq ans dans le Loiret à la fin de leurs études », explique Serge Grouard. Pour lui, le protocole d’accord avec la faculté de Zagreb « est bordé juridiquement ». Mais le maire d’Orléans met déjà la pression, en haussant le ton : « je ne vois pas qui pourrait vouloir s’opposer à cette perspective qui est une urgence ! Nous apportons une solution toute faite, et nous ne demandons d’aides à personne ».
Oppositions groupées
Malgré quelques fuites, le maire d’Orléans et son premier maire-adjoint ont jusqu’alors travaillé dans le plus grand secret médiatique. Alors jeudi dernier, l’annonce qu’ils font à la presse locale fait l’effet d’une petite bombe. Auparavant, le message a quand même eu le temps de transiter jusqu’au Département, réuni en session plénière. Interrogé vendredi matin, Marc Gaudet (UDI) se dit « prêt à s’engager dans cette démarche impulsée par la métropole d’Orléans » (sic). Le président du Département utilise les mêmes éléments de langage que Serge Grouard et Florent Montillot la veille : « si à un moment il y a un couac pour des questions administratives, cela pourrait aller très mal… On parle quand même de santé publique ! » Cette position commune Ville/Département, en pleine précampagne présidentielle, n’est pas tout à fait anodine : sur le terrain, la droite a des idées en matière de santé, et elle veut le montrer. « De la communication politique ? Mais non, qu’allez-vous croire… ?, ironise Marc Gaudet. Évidemment que le contexte electoral joue, mais il y a des constats et des situations qui font vraiment froid dans le dos ».
Députée (LREM) du Loiret et conseillère municipale d’opposition, Stéphanie Rist pointe elle aussi le timing choisi par Serge Grouard et Florent Montillot : « à trois mois des élections, il s’agit du pire moment pour faire dans le disruptif juridique (sic) et pour mettre sur la table un sujet qui nécessite un débat politique au niveau national, et non local ». La parlementaire pose en outre la dimension idéologique de la proposition de Serge Grouard, indiquant que « la formation médicale en France est dispensée exclusivement et historiquement par l’Université publique ». Vendredi, l’opposition orléanaise de gauche monte elle aussi au créneau : « C’est un coup politique, prétend le conseiller socialiste Baptiste Chapuis. Au moment où le débat sur l’implantation d’une fac de médecine à Orléans semble évoluer, la mairie décide d’agir en cavalier seul. Personne n’a été concerté ! » Une façon de défendre aussi le président socialiste de la Région Centre-Val de Loire François Bonneau, accusé d’inaction par la droite. Une droite qui, elle, enfonce le clou. Indiquant « avoir signé des deux mains, sur le fond, l’appel de la Région à Jean Castex », Marc Gaudet l’étrille « sur la forme » : « cet appel, c’était d’abord la Région et les autres, à la remorque, derrière le général Bonneau. C’est quand même un peu cavalier ! »
Le vendredi, dans la journée, d’autres réactions tombent comme à Gravelotte. Elles émanent cette fois de la conférence des Présidents d’Université, qui publie un communiqué assassin. Celle-ci s’agace qu’« à aucun moment, les Universités d’Orléans et de Tours n’aient été associées à cette démarche engagée par la municipalité orléanaise et l’Université de Zagreb ». Le texte, au vitriol, dénonce « la construction intempestive par le maire d’Orléans d’un objet pseudo-universitaire non-identifié, soutenu par une collectivité hors de son champ de compétence (…) On ne trouvera pas de véritable solution au grave problème des déserts médicaux en fabriquant artificiellement des far-west universitaires ». Plus grave peut-être : les présidents d’Université assurent que « l’absence de conventions signées avec les Universités et les établissements de santé concernés condamnent par avance ce dispositif ». Autre pavé dans la mare, le communiqué commun servi par les deux présidents de l’Université d’Orléans et de Tours, lesquels taillent en pièces une « formation au rabais. Ainsi, des disciplines essentielles comme l’immunologie ne feront plus partie de l’enseignement obligatoire » dispensé par la faculté de Zagreb. Pour les deux universités, la proposition orléanaise ne « règlera pas les problèmes de déserts médicaux ». Le Doyen de la Fac de médecine de Tours (voir encadré) est lui aussi vent debout contre le projet.
S’opposer à l’opposition
Le week-end passe. Joint de nouveau lundi en fin de matinée par La Tribune Hebdo, Florent Montillot est furieux des réactions entrainees par son projet. Pendant une demi-heure, il dément les « contre-vérités » proférées selon lui par ses accusateurs. « L’immunologie ? Pas de bol, il y en aura en 2e, 3e et 4e année ! », répond par exemple le maire-adjoint, qui dit vouloir rétablir l’honorabilité de l’établissement croate : « la fac de médecine apparaît au 174e, quand celle de Tours est classée 206e ! ». Dans son style bouillant, il s’insurge contre les « mensonges, voire la diffamation » dont aurait été victime la faculté de Zagreb. Il s’en prend surtout à ceux qui, contrairement à Orléans, ne feraient rien. « Nous sommes dans un système franco-français, de pré carré, où les gens sont habitués à l’entre-soi, rappelle d’abord calmement Florent Montillot, avant de monter en température. Pour ces gens-là, il ne faut surtout pas toucher à notre petit système ! Un petit pays de 4 millions d’habitants vient au secours de la France, et on ne voit pas où est le problème ? On est dans des politiques politiciennes de caniveau, certains sont en train de jouer avec la vie des gens ! C’est à hurler ! » Dézinguées de nouveau, la Région Centre-Val et sa majorité socialiste, qui ont expliqué que le coup de force orléanais mettrait un coup d’arrêt à l’implantation d’une antenne de la fac de médecine de Tours à Orléans. « Tours et Orléans n’étaient en passe de rien du tout !, coupe Florent Montillot. Ce sont des bonimenteurs, des adeptes du « yakafokon » ! Qu’on arrête de nous enfumer ! François Bonneau s’est réveillé en 2021 en créant un groupe de travail sur la santé, mais il n’a jamais dit par exemple : on met 10 M€ sur la table ». Serge Grouard et Florent Montillot se retrouvent alors dans une posture qu’ils affectionnent : celle d’élus locaux qui agissent mais se retrouvent bridés par la technostructure et le corporatisme. « Le pire en politique, fulmine d’ailleurs le premier maire-adjoint, c’est de faire croire aux gens qu’on fait quelque chose alors qu’on ne fait rien. On nous dit que ce n’est pas dans les compétences d’une Ville de s’occuper de ce sujet ? Mais nous avions dit dans notre programme que nous ferions, et nous faisons ! » Agir, oui, mais seuls ? Florent Montillot dément : « Nous avons contacté au préalable la rectrice, la Préfète et des parlementaires de l’opposition », assure-t-il. Sollicitée pour dire ce qu’elle pensait de cette proposition, l’Agence Régionale de Santé a quant à elle refusé, parce qu’elle n’a « pas eu connaissance du projet ». « Chacun son métier, rétorque le premier maire-adjoint. À ce que je sache, l’ARS ne s’occupe pas de formation ».
En tous les cas, malgré le torrent de critiques qui s’est déferlé sur elle, la mairie ne semble pas vouloir reculer sur son grand dessein. « Au contraire, cela va nous permettre d’accélérer le mouvement », prévient Florent Montillot, qui devait de nouveau s’exprimer sur le sujet, ce jeudi, en conseil municipal.