La crise sanitaire n’a rien arrangé à notre affaire. Enfin, si : elle a engendré la multiplication d’initiatives pour se rassembler, créer ensemble, concevoir des projets futuristes, donner du sens à des lieux. Bref, les collectivités, les investisseurs, les associations ou encore les citoyens-entrepreneurs n’ont plus qu’un mot à la bouche – ou plutôt deux – : « tiers-lieux ». Le tiers-lieu, c’est avant tout la rencontre… « entre une communauté, plusieurs personnes indépendantes qui décident de concevoir et administrer ensemble quelque chose, indique Simon Laurent, chef de projets tiers-lieux à la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire (CRESS). On dit d’ailleurs : « faire tiers-lieu » ».
Faire ensemble sans objectif de profits
Comme la matérialisation d’une innovation sociale, le tiers-lieu renvoie à des modèles ou des habitudes qui existaient jadis. « On faisait tiers-lieu quand on se retrouvait au bistrot du coin pour réfléchir ensemble à certains sujets, quand on effectuait de la transmission d’usage à l’échelle d’un village, poursuit Simon Laurent. Le tiers-lieu, tel qu’on l’entend aujourd’hui, s’adapte aux défis de l’époque. » Ceux qui existent sont surtout nés au départ de la médiation numérique, avec la volonté de partager et de diffuser des biens communs. « Bien loin donc d’enjeux lucratifs ou même capitalistes », indique le chef des projets tiers-lieux à la CRESS. « L’État et même la Région Centre-Val de Loire s’approprient le sujet (voir p.13) et mettent en place des fonds d’amorçage, permettant aux projets de se stabiliser et trouver leur modèle économique. »
Pour la municipalité orléanaise, « il y a déjà un tiers-lieu à Orléans et il s’appelle le 108 ». William Chancerelle, adjoint à la culture, l’affirme clairement : « il est en pleine évolution sous l’impulsion de son directeur et nous souhaitons miser là-dessus. » Depuis son arrivée il y a quelques mois, le directeur en question, Dominique Borthelle, a choisi d’ouvrir les espaces afin de répondre progressivement aux caractéristiques d’un tiers-lieu. Bénéficiant de l’aide France Relance de l’État, le 108 a opéré quelques changements : aménagement du 109 (café-projets ouvert à tous selon les horaires d’ouverture) ou de bureaux flottants permettant la location de bureau au mois pour les travailleurs du secteur culturel. « C’est un lieu relais qui doit accueillir de nouveaux publics, insiste Dominique Borthelle. Il faut à tout prix changer d’échelle et répondre aux besoins du territoire. » Nouvelle impulsion donc, nouvelles peintures ici et là et… nouvelle communication. La Maison Bourgogne s’affiche désormais sans détours comme étant un « tiers-lieu artistique et culturel ».
Ils veulent des tiers-lieux dans la métropole !
S’il s’agit du seul « tiers-lieu » de l’Orléanais selon les élus et d’autres acteurs, il est impossible d’ignorer des initiatives comme le 4 Tiers du MOBE (l’espace forum du muséum d’Histoire naturelle) ou encore celle de l’association L’Escale, à Combleux, sur le site de l’ancien restaurant de l’usine IBM. Il y a eu aussi l’initiative avortée des Vinaigreries, sur lequel le projet de l’association Couleur Vinaigre devait prendre corps. « C’est un rêve qui existait depuis quarante ans de transformer les anciennes vinaigreries du centre-ville en un lieu d’art vivant », affirme amèrement Daniel Caspar, qui a appris il y a quelques mois que la nouvelle municipalité optait plutôt pour un projet immobilier. « Nous n’avons pas eu de soutiens de la part d’autres dans ce projet, justifie William Chancerelle Et une ville ne peut pas, à elle seule, porter financièrement un tel projet. » Autre « presque-tiers-lieu », le Moule à Gaufres, né d’abord rue Croix de Bois, a ouvert son « Extension » au 122 bis rue du Faubourg Saint-Jean. Sur 2 000 m2, plusieurs personnes travaillent ensemble et se partagent des espaces. Le concepteur, Benjamin Cheminat, n’en est pas encore au lieu qu’il souhaiterait idéalement. « Il manque plusieurs choses, indique-t-il. Une offre de restauration, un fab-lab, une crèche, une galerie d’art… » Mais selon l’entrepreneur, tout est évolutif : « Le lieu se mue en fonction des visions et envies des gens qui l’animent », poursuit Benjamin Cheminat, qui estime plus globalement qu’« il manque de tiers-lieux à Orléans. Il en faudrait plusieurs, qui pourraient avoir chacun une spécialité : la créativité, la formation, la santé… Il y a le Lab’O pour le numérique, mais c’est trop “fermé” pour le considérer comme un tiers-lieu potentiel ». Et que penser de l’InfoLab, présenté par la Région comme un… tiers-lieu ?
Mais c’est quoi, un tiers-lieu ?
Il existe effectivement des endroits ou des établissements qui se disent « tiers-lieux »… mais qui n’en sont pas. Il y a aussi des lieux qui ressemblent presque à des tiers-lieux, mais qui ne se positionnent pas encore en tant que tels. « Certains sont des tiers-lieux en devenir, d’autres deviendront simplement autre chose », estime Simon Laurent. Les tiers-lieux ne sont pas des espaces de coworking, des ateliers d’artistes, des pépinières d’entreprises, des lieux de culture : ils sont peut-être tout cela à la fois, mais surtout bien plus encore. La limite, selon le chef de projets tiers-lieux à la CRESS, reste l’utilisation de la désignation-même du tiers-lieu. « Il faut rester prudent dans la façon dont on se présente au public, il y a une éthique à respecter vis-à-vis de toutes les démarches de tiers-lieux qui existent et vis-à-vis du public qui vient pour des usages de tiers-lieu bien spécifiques », estime Simon Laurent, qui se dit « ni inquiet, ni pas inquiet » quant à l’ampleur du développement des « tiers-lieux ». Seule vigilance, toutefois, à tout cet emballement : « Que ces projets de tiers-lieux ne soient qu’en fait un effet de mode… »