Les violences intrafamiliales explosent-elles dans le Loiret ? Christophe Herrmann, nouveau commandant de la région de gendarmerie, estime plutôt qu’elles augmentent car la parole se libère : « Il y a moins de freins pour la victime à venir nous parler. Les gendarmes sont aussi mieux formés, il y a un meilleur savoir-faire. » Adjudant à la brigade de Pithiviers et formateur départemental depuis un an pour combattre les violences intrafamiliales, Kevin Fontaine pense pour sa part que ces violences intrafamiliales sont plus « révélées » qu’auparavant : « C’est plus facile d’en parler aujourd’hui grâce aux moyens de communication plus accessibles », explique ce militaire.
Les « violences intrafamiliales », rappelons-le, regroupent un spectre large, allant des agressions faites à l’encontre des femmes, mais aussi des hommes, des seniors et des mineurs. S’il n’a pas de chiffres locaux à donner, l’adjudant Kevin Fontaine confirme cependant rencontrer « énormément de violences conjugales » (voir notre édition de la semaine dernière) sur le terrain. D’ailleurs, en 2019, au niveau national, 84 % des personnes décédées au sein du couple étaient des femmes, selon le ministère de l’Intérieur.
Pour le commandant Foliard, trente-deux ans de service et évoluant à la compagnie de Montargis, ces violences intrafamiliales sont dues « neuf fois sur dix » à l’alcool. Une assertion que nuance son homologue de la brigade de Pithiviers, Kevin Fontaine : « L’alcool est un facteur aggravant, il désinhibe, mais il y a aussi d’autres causes : ces violences peuvent naître d’un contexte de séparation, de garde d’enfants, de jalousie ou même de choses plus futiles, comme le programme télé… » De son côté, le commandant de la compagnie de Pithiviers, Fabien Fourcade, met le doigt sur un autre aspect à ne surtout pas négliger : « On note des violences à caractère sexuel dans des zones rurales de plus en plus reculées, comme les incestes. » La précarité est également un facteur qu’on retrouve régulièrement dans ce genre de situations, rapporte Heddy Cherigui, commandant de la compagnie de Gien. « C’est une donnée à prendre compte et qui revient souvent, même si les violences intrafamiliales touchent toutes les catégories socio-professionnelles », tempère Céline Talbot, Intervenante Sociale en Gendarmerie (ISG) (voir plus loin).
Devant la complexité de ces violences intrafamiliales, des formations pour lutter contre ces violences émergent de plus en plus en écoles de gendarmerie. Aujourd’hui, un enseignement uniformisé et réalisé par le Centre National de la Police Judiciaire est d’ailleurs dispensé sur toute la France durant une journée de huit heures. Elle balaye nombre de thématiques autour de ces violences : accueil du public, recueil de la parole et accompagnement des victimes, volets judiciaire et administratif… À Pithiviers, le formateur départemental Kevin Fontaine reconnaît que, « ce qui pèche encore, c’est l’accueil des victimes ». Dans l’optique de faire baisser le nombre des violences, Kevin Fontaine assure que ces formations se poursuivent dans le département, afin que « les enquêteurs spécialisés soient dispersés dans toutes les unités de gendarmerie et puissent se charger localement des affaires les plus problématiques ». Une trentaine de formations doivent d’ailleurs être assurées d’ici la fin de l’année.
Prévenir avant de souffrir
Pour accompagner les militaires dans leur travail, une Intervenante Sociale en Gendarmerie (ISG) existe depuis juin dernier sur le département. Agent du Département détachée en gendarmerie, Céline Talbot constitue une sorte de trait d’union entre les forces de l’ordre, les services sociaux et les associations : « Nous faisons un accompagnement des victimes, par téléphone ou à leur domicile, nous nous adaptons. Car en fin de compte, le but, c’est d’être au plus près des personnes. » Le rôle de l’Intervenante Sociale en Gendarmerie permet aussi de « détecter des signaux faibles » survenant avant des faits de violences, comme par exemple « les non-paiements de pensions alimentaires », mentionne Heddy Cherigui, commandant de la compagnie de Gien. Céline Talbot peut intervenir avant, pendant ou après des faits de violences, et hors champ pénal. « Nous essayons aussi de faire prendre conscience de l’impact psychologique que ces violences peuvent avoir sur les enfants au domicile », ajoute-t-elle. Au quotidien, l’ISG se déplace au sein de toutes les brigades de gendarmerie et reçoit à son bureau, dans les locaux de la Maison de Protection de l’Enfance (MPF). Auparavant nommée Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile (BPDJ), la MPF a émergé en 2019 suite au Grenelle des violences conjugales. Commandant cette unité composée de quatre membres, Carole Goré et son équipe travaillent majoritairement en amont des violences et sont spécialisées dans la prévention auprès de tous les publics : mineurs, seniors, personnes vulnérables, sphère familiale, mais aussi scolaires et associations ou mairies. « Nous sommes là pour essayer d’éviter que ces violences n’arrivent », précise Carole Goré.
Les violences physiques, morales, verbales, sexuelles, ainsi que les dangers d’Internet et les addictions sont évoqués lors de ces séances de prévention. Ces dernières ont aussi le mérite de recueillir la parole de personnes qui pourraient être victimes ou témoins de violences, et qui osent parler : « Ça peut être des mineurs, mais plus souvent des adultes, qui viennent plus facilement vers nous. Ils se posent des questions sur les démarches qu’ils ne connaissent pas. Il y a l’appréhension de l’inconnu. » Quand ces victimes se confient à la Maison de Protection de l’Enfance, les membres de l’unité les dirigent alors vers leurs collègues de la gendarmerie ou les intervenantes sociales. Ces partenariats mis en place entre ces différentes instances semble primordial pour lutter contre les violences intrafamiliales. L’adjudant Kevin Fontaine soutient ce travail de fourmi en amont. « J’interviens parfois sur des situations conflictuelles dans lesquelles il n’y a pas de matière pour travailler : pas de violences, pas d’insultes, exprime-t-il. Mais on sent que quelque chose ne va pas… Alors on va voir l’intervenante sociale, qui n’est pas en uniforme, et cela peut désamorcer des situations. » Et peut-être, en fin de compte, sauver des vies.