Est-ce qu’ils y avaient vraiment cru, quand ils disaient, tous, la main sur le coeur, que quelque chose allait changer, et qu’on ne les y prendrait plus ? Est-ce qu’ils croisaient les doigts, est-ce qu’ils se pinçaient les lèvres, est-ce qu’ils pensaient à autre chose quand ils promettaient que plus rien ne serait comme avant ? Est-ce que le « monde d’après » a déjà vécu ; est-ce que son idée a déjà été dissoute par la grâce d’écoles qui rouvrent, de lits d’hôpitaux qui se vident et d’un quotidien qui reprend ?
Trois mois ont passé depuis que nous avons été appelés à nous recentrer. Trois mois d’introspection et de déclarations d’intentions pour en arriver à ça, aux mêmes billevesées, au même besoin de salir et d’accuser. Trois mois qui donnent l’impression de n’avoir été qu’une parenthèse, qu’un îlot, qu’une promesse. Nous nous promettions le ciel et nous nous vautrons déjà en pleine mer : les bords de Seine – comme de Loire – sont redevenus des dépotoirs ; les chauffards imbéciles font de nouveau mugir leurs tristes carlingues et la campagne électorale rebat son plein, plus rude que jamais, avec ses mésalliances et ses trahisons, ses coups de menton et ses incantations. Trois mois, et tout s’en va : post coïtum, animal triste.
Quelques-uns essayent pourtant de saisir la balle au bond et d’échafauder un monde meilleur; et voila qu’on tente déjà de les discréditer, de les rappeler à leurs conditions de « syndicalistes » ou d’idéalistes qui ne comprendront jamais rien. Ils réfléchissent, pensent, et s’interrogent ; et c’est comme si leurs fulgurances se fracassaient contre un mur. C’est pourtant là, maintenant, que tout se joue : ce moment d’histoire n’aura vraiment de sens que si nous ne contentons pas, dans les jours qui viennent, d’un pastis-cacahuètes retrouvé à la terrasse d’un bistrot.