De quels nouveaux équilibres mondiaux les crises santaire et militaire que nous connaissons depuis deux ans vont-elles accoucher ? La pandémie de coronavirus a révélé à quel point l’Occident était désormais dépendant, pour ne pas dire à la merci, du rapport de force économique qu’il a instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Penaud, il s’est aperçu que la délocalisation massive de son outil de production ne lui permettait plus de répondre à des difficultés soudaines que son logiciel, basé sur des échanges internationaux ouverts et ininterrompus, n’avait pas anticipées. Certes, la préoccupation écologique qui montait depuis une dizaine d’années dans les sociétés occidentales avait déjà fait comprendre à certains qu’il serait plus intelligent, dans un proche avenir, de restreindre les transports de marchandises et de personnes. Mais là-dessus sont venues se greffer les conséquences de la guerre en Ukraine et les sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie, qui ont posé brusquement le problème de la dépendance énergétique des sociétés occidentales à l’égard de pays pouvant être des menaces potentielles.
La nécessité de « relocaliser » les productions dans un périmètre plus restreint, et si possible à l’intérieur de ses frontières, a donc été tracée en Europe et en Amérique. Louable intention dont on voit bien la pertinence à la fois environnementale et stratégique, mais dont les effets possiblement pervers peuvent aussi être questionnés. Car en voulant ramener chez nous ce que nous avions demandé à d’autres de faire, ne nous privons-nous pas d’un garde-fou qui nous permettait de dire ànos voisins, proches ou lointains : « Puisque nous vous assurons une grande partie de vos revenus, vous n’avez aucun intérêt à nous attaquer » ? De la relocalisation au protectionnisme et du protectionnisme au repli, il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne : le danger peut être grand de se fragiliser en donnant à ces puissances émergentes qui rêvent de renverser la table l’impression qu’elles n’auraient pas grand-chose à perdre en venant nous chercher des noises. Dans ce monde instable où les équilibres ne tiennent que par la juxtaposition des intérêts nationaux, la dissuasion n’est pas que nucléaire : elle est aussi économique.