Faire bouger les lignes : c’est l’objectif que s’est fixée, à l’Assemblée nationale, la mission d’information parlementaire sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Créée en janvier 2020, elle est composée de 33 députés issus de tous les groupes politiques. Sa rapporteure thématique se nomme Caroline Janvier, députée (LaREM) de la deuxième circonscription du Loiret.
« Il est important de faire participer les Français à nos travaux, explique l’élue, car sur le cannabis, l’opinion publique a évolué plus vite que la classe politique. » Jacques Denizot, psychiatre addictologue à Orléans, approuve cette démarche : « c’est une évolution de considérer que le cannabis peut être récréatif. »
Informer l’opinion publique
Alors que la dépénalisation du cannabis a été instaurée dans de nombreux pays (Espagne, Portugal, Pays-Bas), la France semble en effet accuser d’un certain retard à ce sujet, trop longtemps resté « tabou », selon Caroline Janvier. La mission d’information parlementaire a ainsi pu interroger de nombreux spécialistes et experts à propos du cannabis. Et le constat est sans appel, puisque ces derniers reconnaissent un constat d’échec de la politique française depuis 50 ans. Comment expliquer que ces questions n’aient pas été mises plus tôt sur la table des débats publics ? « Chaque civilisation a ses drogues. Nous, c’est le vin…, analyse Jacques Denizot. Cela fait partie de l’identité française. Alors, que l’on introduise dans le pays une nouvelle drogue pose un problème sur notre identité. C’est pourquoi, jusqu’à maintenant, le cannabis a été sanctionné et interdit. »
Sur cette consultation, les internautes qui le souhaitent pourront répondre à différentes questions, comme : « pensez-vous que le dispositif actuel permet de lutter efficacement contre les trafics ? », ou encore : « par rapport à la consommation d’alcool/tabac, selon vous, les risques liés à la consommation de cannabis sont équivalents, plus graves ou moins graves ? » Au-delà de faire participer les Français, l’idée est aussi de mesurer le niveau de connaissance des citoyens sur le sujet. « Le tabac et alcool sont beaucoup plus dangereux, avec des niveaux d’addiction plus importants que le cannabis, insiste Caroline Janvier. Il faut donc informer l’opinion publique. »
Au début du mois de février, plus de 200 000 personnes avaient répondu à cette consultation citoyenne. Pour le moment, on remarque une surreprésentation des hommes (environ 75 %) et des jeunes de 18 à 29 ans (plus de 50 %). La majorité d’entre eux sont favorables à la légalisation du cannabis et connaissent bien le sujet, selon Caroline Janvier. Adrien*, Orléanais de 33 ans et fumeur quotidien de cannabis, fait partie des participants. Il soutient qu’« il est temps de débattre de ce sujet, sachant que les Français sont les plus gros consommateurs mais aussi les plus gros « réprimeurs » d’Europe ». Pour autant, Adrien pense que cette « consultation ressemble à de la poudre aux yeux. » Le trentenaire souhaiterait en effet que chacun puisse faire pousser chez lui ses plants de cannabis, sans en faire commerce, à titre privé, et dans une certaine limite…
Ce n’est pas tout à fait le sens de cette mission d’information parlementaire, qui aimerait cependant proposer une politique sanitaire plus efficace pour lutter contre le trafic de drogue. C’est pourquoi Caroline Janvier se prononce pour une légalisation du cannabis récréatif, mais une légalisation contrôlée, avec une régulation de l’État et un contrôle sanitaire des substances.
« Un modèle à la française »
« Il faut que l’État reprenne le contrôle de la production et de la distribution, avec des recettes, des taxes, pourquoi pas des lieux de vente, souligne la députée du Loiret. On peut construire un modèle à la française. » L’argument financier entre forcément en ligne de compte, alors que pour le moment, le circuit économique lié à la drogue échappe complètement à l’État. L’élue loirétaine va plus loin : « ces recettes que percevrait l’État pourraient permettre de financer une politique sanitaire, comme on le fait actuellement avec le tabac, pour lequel on a réussi à faire baisser la consommation. »
Rappelons cependant que si le cannabis est un produit moins risqué que le tabac ou l’alcool, ce n’est pas pour cela qu’il est inoffensif : « Une éducation doit se faire, prévient le psychiatre addictologue Jacques Denizot. Il faut mettre en garde les gens sur un usage immodéré. » Ainsi, la politique sanitaire que Caroline Janvier souhaiterait mettre en place viserait tout particulièrement les jeunes : « pour les moins de 18 ans, l’usage du cannabis est très risqué, car le cerveau n’a pas fini d’être formé, explique-t-elle. C’est pour ce public qu’il faut mettre le paquet. » Jacques Denizot, également président de l’association Non aux addictions, se dit favorable à la légalisation du cannabis récréatif, mais encadré par l’État : « On ne peut plus y être opposé. Cela garantira la qualité du produit, et il y aura moins de trafic. Quand il sera vendu dans des coffee shops, il n’y aura plus de dealers au coin des rues. » Certains consommateurs ont, cependant, peur de voir le prix du cannabis monter en flèche si l’État décide d’encadrer le marché. « C’est déjà une réalité qu’on peut constater avec le CBD (cannabidiol, composé actif du cannabis qui n’est pas interdit par la législation française, ndlr), en vente libre au bureau de tabac, constate Adrien, consommateur orléanais. Les prix ont explosé ».
Quand et comment légaliser ?
Les Français et les Orléanais ont en tout cas jusqu’au 28 février pour répondre au questionnaire, puis la mission parlementaire communiquera sur les différents résultats obtenus. Un rapport doit ensuite être publié d’ici les mois de mars ou d’avril. Caroline Janvier invite tout le monde à s’y intéresser pour avoir les avis les plus larges et représentatifs possibles. La vraie question, selon elle, « n’est pas tant de savoir si l’on doit légaliser ou non, mais comment on légalise. Il faut un modèle très opérationnel, concret, précis, et qu‘on aille jusqu’au bout de la question. » Des interrogations complexes qui ne sont pas seulement d’ordre sanitaire et économique, mais aussi social. « Si le marché noir s’écroule, quid de tous les gens qui vivent de cela ?, se demande Adrien. Cela reste une grande question à laquelle le Gouvernement doit répondre… »
* Le prénom a été changé.