Les fêtes de Jeanne d’Arc 2022 se sont terminées dimanche après une journée du 8-mai riche en coups de soleil et en émotions. Sous une température presque estivale, les Orléanais ont en effet pu retrouver les joies de cette journée si particulière, avec le défilé militaire, celui des provinces et des corps constitués : ce moment où l’on dit, selon l’expression consacrée, que « la moitié de la ville défile pendant que l’autre l’applaudit ».
Mais ces fêtes 2022 ont eu une couleur différente, ou plutôt deux : le jaune et le bleu, celles du drapeau ukrainien. L’Ukraine, un pays que Serge Grouard, maire d’Orléans, a voulu mettre à l’honneur en invitant la réalisatrice Masha Kondakova pour présider les fêtes. Inconnue des Orléanais, cette jeune femme de 33 ans a pourtant recueilli une standing ovation à la fin de son discours prononcé devant la Cathédrale Sainte-Croix. Émue, elle a évoqué son histoire et celle de sa mère et de sa sœur, devenues « aujourd’hui des réfugiées » mais qui ont eu « la chance de pouvoir se rendre en France ». « La guerre sépare les gens qui s’aiment et réunit les inconnus », a joliment exprimé Masha Kondakova, qui a également rendu hommage à la figure de Jeanne en particulier et à celle de la femme en général : « ce sont les hommes qui font la guerre mais ce sont les femmes qui soignent, qui protègent et qui finalement sauvent, comme Jeanne d’Arc ». Il aura peut-être manqué un poil de souffle à ce discours, mais les mots simples et le proverbe ukrainien délivré par Masha Kondakova en fin d’allocution – « la liberté ou la mort » – disaient beaucoup des douleurs et de la fierté d’un peuple éprouvé par deux mois et demi de guerre.
« L’horrible démon »
Quelques minutes plus tôt, devant la Cathédrale, Serge Grouard avait lui aussi évoqué la guerre en Ukraine dans un discours incisif. Fidèle à son style, le maire d’Orléans pointa la « tragédie » qui se jouait à deux heures d’avion de Paris, tout en convoquant les heures sombres de l’histoire européenne : « L’horrible démon (…) resurgit du diable vauvert ; le présent retourne au passé comme dans un cauchemar récurrent ». Comparant la situation actuelle avec la marche à la guerre des années 30, Serge Grouard fit aussi remonter le début du « laissez-faire » européen aux guerres de Tchétchénie, au début des années 2000 : le signe que, selon lui, la menace russe guettait depuis des années et que l’Union Européenne avait failli. Très anti-munichois dans l’esprit, le discours de Serge Grouard avait aussi des contours anti-pacifistes, ce qui, dans les années 30 justement, n’était pas loin d’être identique : « on croit toujours sauver la paix, mais on hérite de la guerre et du déshonneur en plus, comme le disait Churchill », lança ainsi le maire d’Orléans, qui compara ensuite le destin de Volodomir Zelensky à celui de la Pucelle : « Comme Jeanne d’Arc venue du fin fond de la Lorraine, un président venu de nulle part porte l’étendard d’une résistance admirable ».
Serge Grouard finit enfin son discours par une allusion à peine voilée à la situation politique intérieure de la France, en plein « entre-trois-tours » : « Dans les temps troublés que nous vivons, le message de Jeanne d’Arc (…) nous dit d’abord que la vie de la nation n’existe que par sa volonté d’être. Il nous invite ensuite au rassemblement. La diversité peut être belle lorsqu’elle s’unit dans le même élan de valeurs partagées. Elle est mortifère lorsqu’elle se communautarise dans l’indifférence et la confrontation ». Dimanche 8 mai, la population orléanaise s’est en tout cas retrouvée après deux ans de privations johanniques. Visiblement, et malgré quelques scènes nauséabondes (voir p.27), elle en avait bien besoin.