Le « projet du siècle » pour le Département du Loiret est entré il y a quelques semaines dans une phase particulièrement visible. Même si des aménagements routiers avaient déjà été réalisés au sud et au nord, même si des hectares de bois avaient été rasés dès 2017 au grand dam des associations écologistes, les travaux d’aménagement du futur pont reliant Mardié à Darvoy n’avaient pas encore impacté directement la Loire. Depuis la mi-septembre, c’est chose faite : une première estacade métallique, « passerelle provisoire en parallèle du futur pont », a été installée dans le lit mineur du Fleuve royal « pour permettre d’accéder aux zones de travail en toute sécurité », explique le Département du Loiret, à l’initiative du projet.
Celui-ci a d’ailleurs profité, ce lundi, du côté spectaculaire de cette installation pour montrer aux médias locaux, et donc à la population, que les travaux avançaient. D’ici à la fin de l’année, une deuxième estacade, au nord cette fois-ci, sera ainsi posée. C’est que le temps est compté : en raison des contraintes environnementales, il n’est possible de travailler dans le lit de la Loire que sept mois dans l’année, entre août et mars. Mais la première estacadeposée au sud donne déjà, aux yeux du profane, une petite idée du futur franchissement, qui s’élèvera lui à 120 mètres au-dessus du niveau de la mer, mesurera quelques 570 m de long, et sera composé de six travées (la plus grande faisant environ 115 m, ndlr). Rappelons que la partie « pont » de la déviation de Jargeau, dont le marché de travaux a été confié à un groupement réuni par l’entreprise loirétaine Baudin-Châteauneuf, est l’élément le plus coûteux du projet : 58 M€ pour un montant total des travaux estimé à 94 M€.
À plus longue échéance, le Département a fléché les prochaines étapes du chantier : en 2022, les travaux d’aménagement du pont franchissant la Loire continueront avec les fondations profondes et la confection des piles ; tandis qu’au nord, les travaux d’aménagement de la section courante contournant Saint-Denis-de-l’Hôtel commenceront. À noter également, l’an prochain : la réalisation des ouvrages d’art franchissant la Marmagne et le Dhuy, deux sous-affluents de la Loire. La mise en service de la déviation de Jargeau est toujours prévue pour début 2025.
Déplacer la circulation
En communicant régulièrement sur ce dossier, le Département veut toujours montrer que ce projet était – et est toujours – indispensable au territoire. Il ne cesse ainsi de répéter que la RD 921 entre Jargeau et Saint-Denis-de-l’Hôtel est complètement saturée, que cet axe routier doit absorber tous les jours environ 15 000 véhicules et que les riverains n’en peuvent tout simplement plus, entre les nuisances sonores, la pollution et les problèmes d’insécurité que cette (sur)fréquentation peut engendrer. Avec cette déviation dont les premières études ont été lancées il y a presque 20 ans, la collectivité espère pouvoir réduire de 35 % le trafic sur le pont de Jargeau et jusqu’à 70 % celui de certains itinéraires des centres-villes traversés, comme à Saint-Denis-de-l’Hôtel. En 2030, le trafic sur le tracé de déviation est estimé par le Département à 11 750 véhicules / jour. En outre, la collectivité affirme que ce nouvel axe de circulation sera « le seul franchissement dans le Loiret accessible avec un fonctionnement normal pour une crue de 200 ans ».
Malgré ces arguments sans cesse réitérés, le Conseil départemental se heurte depuis des lustres à l’opposition de certains propriétaires, ainsi qu’à celle d’associations locales et de collectifs de défense de l’environnement. Malgré le début des travaux, ces derniers ne désarment pas : le 5 décembre prochain, la coordination La Loire Vivra organisera ainsi une marche de Saint-Denis-de-l’Hôtel à Darvoy pour défendre la « préservation des sols dans le Val de Loire ». « En région Centre-Val de Loire, quasiment 2 000 ha de sols naturels agricoles ou forestiers sont artificialisés chaque année, appuie ce collectif. L’exemple de ladite déviation de Jargeau est flagrant (…) : avec une emprise de plus de 80 ha sur les sols naturels, ce projet coupe le Val de Loire en deux. En plus du pont sur la Loire en zone karstique et les deux forêts déjà détruites sur la rive droite, son passage sur la rive gauche va rompre la continuité agricole au sud-est d’Orléans, contribuer à assécher les deux rivières de la Marmagne et du Dhuy, pourtant déjà mal en point, et augmenter massivement la pression déjà exercée sur les sols dans cette zone ».
Bataille environnementale
Le Département continue d’assurer, pour sa part, qu’il a le soutien des habitants et des élus concernées par cette déviation. Précautionneux, il répète aussi à quel point le chantier ouvert respecte à la lettre – voire plus qu’à la lettre – toutes les obligations environnementales : réalisations de « passages à amphibiens », de « tremplins pour chauves-souris », de « plateforme pour le balbuzard » ; activation de « mesures compensatoires en milieu naturel »… Le Département assure que 10 M€, sur les 94 M€ du projet, sont consacrés « à des actions en faveur de l’environnement et la biodiversité ». 14,3 ha ont déjà été défrichés ? La collectivité jure qu’elle va en reboiser 25. La rumeur court que cette déviation est un prélude à la construction de zones d’activités ou d’habitation dans le secteur ? Marc Gaudet, le président du Département, s’agace : « il n’y aura pas de zones à urbaniser ». Le Conseil départemental certifie enfin qu le groupement mis au point par Baudin-Châteauneuf a pris « toutes les dispositions pour maîtriser les phénomènes karstiques » lors du chantier.
Au fond, les défenseurs de la cause environnementale, qui tablent dans un avenir plus ou moins lointain sur une diminution du nombre de voitures et de camions sur les routes, semblent estimer que cette déviation de Jargeau est déjà un projet du passé, et qu’« à l’heure de la COP 26 », les pouvoirs locaux ne font pas assez pour favoriser le fret ferroviaire, faisant de la région Centre-Val de Loire et du Loiret le grenier à camions de la France en autorisant la multiplication des plateformes logistiques. La coordination La Loire Vivra prévient d’ailleurs : « le Département du Loiret s’acharne et précipite les travaux avant la fin de la procédure juridique, malgré la jurisprudence de la déviation de Beynac, en Dordogne, annulée par le Conseil d’État alors que les piles étaient déjà construites… » Même si le chantier de la déviation de Jargeau est entré dans une phase visible, des procédures juridiques restent encore en suspens, comme le recours en appel de l’association Mardiéval contre la déclaration d’utilité publique du projet.