Laélia Véron affiche ses 72 000 abonnés sur Twitter en citant Balzac. Sur son compte, elle évoque aussi les rapports de pouvoir qui sont en jeu derrière les mots de la langue de Molière. Son parcours, elle l’a construit au fil du temps et des rencontres. « Enfant, je ne connaissais pas le métier d’enseignante-chercheuse, dit-elle. Par contre, l’amour de la langue et de la littérature m’habite depuis petite. » Passée par l’École Normale Supérieure de Lyon, elle a grandi dans un hameau de la Drôme. Elle a ensuite découvert l’université d’Orléans lors d’un contrat d’Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER). « J’ai aimé la faculté, ses équipes et le contact avec les élèves », relève-t-elle. De quoi la pousser à candidater, ensuite, au poste de maître de conférence en stylistique, sa spécialité. Une discipline découverte à l’ENS de Lyon auprès d’Éric Bordas, l’un de ses maîtres : « Il m’a donné envie, raconte Laélia Véron. Le pouvoir de la littérature, du langage m’a fascinée. Cela m’a amenée vers les sciences du langage et la sociologie jusqu’à la socio-stylistique. J’ai forgé ma propre méthode. C’est à la fois effrayant et stimulant. »
Aujourd’hui, elle « cartonne » sur le réseau social à l’oiseau bleu. Une erreur de parcours ? C’est « une collègue historienne qui m’a convaincue, rembobine la jeune enseignante. Parce que moi, à la base, je n’avais même pas de smartphone ! » Cette incursion dans le monde des 140 caractères a rapidement été couronnée de succès, et Laélia Véron a touché des personnes qui ne fréquentent pas les amphis. « Ce que je fais sur Twitter, ce n’est pas un cours, loin de là, mais cela permet de susciter la curiosité, explique-t-elle. Et puis, ça démocratise le rapport au savoir. »
« Féministe » est un autre qualificatif que la jeune femme assume pleinement, n’hésitant d’ailleurs pas à porter plainte contre certains « trolls » qui la menacent d’un peu trop près. « Je connais des avocats, j’ai la possibilité de le faire, assume-t-elle. C’est un acte militant. » Laelia Véron est du genre décidé et d’ailleurs, outre Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, un livre co-écrit avec la linguiste Maria Candéa, l’Orléanaise s’est aussi lancée, avec sa consœur, dans l’aventure des podcasts. Une initiative qui a donné naissance à un autre livre, Parler comme jamais, qui doit paraître cet automne. « Ce n’est pas une répétition du premier, mais un livre polyphonique, précise-t-elle. Nous reprenons le podcast avec une partie retranscription, mais nous demandons aussi à nos collègues d’intervenir. Nous avons également utilisé des tweets auxquels nous avons répondus. Il y a, enfin, une partie exercices. »
Autre singularité de son parcours : son travail en prison, à Saran. « J’y suis allée pour des raisons pédagogiques et politiques, car c’est un endroit où l’enseignement est peu présent, dit-elle. Après, il y a aussi une dimension plus personnelle dans cette confrontation à la violence, à la résilience. Il y a l’envie d’essayer de faire quelque chose de la violence et de vouloir y faire rentrer du beau… La prison, c’est déstabilisant, dans le mauvais comme dans le bon. Parler littérature avec un détenu ou un surveillant, ça peut faire cliché, mais oui, ça existe… » Petite victoire : deux de ses étudiants ont eu leur année universitaire du premier coup !
Vers le beau
Cependant, ils ne sont pas les seuls à occuper l’esprit de Laélia Véron : il y a aussi ses étudiants de l’université. « Avec mes collègues, nous avons fait en sorte que nos élèves survivent évidemment sur le plan alimentaire, mais aussi au niveau psychologique, en maintenant par exemple, même à distance, le lien avec le club lecture. » Tout cela fait du travail, et la jeune femme a d’ailleurs décidé de suspendre son activité de vulgarisation en espérant que son podcast sera poursuivi par d’autres. « Maintenant, je souhaite me lancer dans un projet de recherche à long terme », confie-t-elle. Déjà autrice d’une thèse sur Balzac, elle se verrait bien, désormais, marier stylistique et milieu carcéral. « D’ailleurs, relève-elle, Balzac a écrit sur la prison ». Oui, mais pas sur Twitter !
Une réponse
« A force de le lire et de l’entendre, cela semble admis : la langue francaise serait en peril. Diverses menaces contribueraient a la degrader : les argots, les anglicismes, les barbarismes, le langage SMS, le politiquement correct, etc. De fait, defendre la langue est devenu un pretexte facilement recevable pour tempeter contre la societe contemporaine (forcement decadente). Mais qu’est-ce donc qu’aimer la langue francaise ? C’est passer du temps a lire, parler, ecrire et surtout s’interroger : sur la langue, mais aussi sur les discours qui la concernent et sur ceux qui sont tenus en son nom. Le francais n’est pas fige, il a une histoire, qui continue a s’ecrire. Si la langue est un dispositif de maintien de l’ordre social, elle est aussi une construction politique qu’il est possible de se reapproprier. Entrons ensemble dans l’histoire sociopolitique du francais et dans les debats citoyens qui y ont trait ! Ce sera l’occasion de decouvrir les liens subtils entre langue, politique et societe. De voir qu’on peut a la fois aimer le francais, sa richesse, sa complexite et son histoire, et avoir confiance dans sa vitalite, sans se complaire dans la nostalgie d’un passe mythique. Avoir l’ambition de se saisir de la langue francaise est une demarche exigeante, mais c’est une exigence joyeuse. Alors n’ayons pas peur de le proclamer : le francais est a nous ! »