« La culture, c’est connaître Kant et savoir changer un joint de culasse. » Cette phrase, le père de Pierre-François Ducrocq la répétait souvent à son fils. Celui-ci a aujourd’hui 44 ans, et semble avoir fait de cet aphorisme un véritable principe. Né à Poissy (Yvelines) et ayant passé toute son enfance près de Mantes-la-Jolie, il a été rapidement surnommé « Pif » par ses camarades d’école primaire : à l’époque, il passe le plus clair de son temps à lire des livres, parle anglais assez tôt car son papa, instituteur, le lui apprend très jeune. « C’était toujours un peu l’école à la maison… », raconte rétrospectivement le fiston. Et quand Pierre-François ne lit pas, il suit un peu de solfège et rédige des nouvelles. Il passe ensuite un bac littéraire après avoir été viré de 1re ES : l’ado a en effet le don d’irriter sa prof d’économie en tenant régulièrement des discours marxistes en classe…
« Pif » prend ensuite la direction de Cergy pour y suivre une fac de droit. On est à la fin des années 90, le mouvement techno est alors en plein essor. Entre ses études qui demandent « beaucoup de travail » et la musique, l’étudiant fait son choix : « ça m’intéressait bien plus de passer mes week-ends dans des usines désaffectées à écouter de la techno… », dit-il aujourd’hui. Après deux premières années de droit, Pierre-François change de voie pour aller en Lettres Modernes. Et alors qu’en quatrième année, à 23 ans, il réalise un mémoire de maîtrise en linguistique, il fait une rencontre déterminante : « je connaissais un pote qui avait réussi à entrer dans une boîte de production comme régisseur général. Je me suis dit que ce serait cool de bosser avec des gens un peu connus… » L’ami en question a besoin d’un assistant, mais le hic, c’est que « Pif » ne connaît rien au cinéma. Ça tombe bien, puisque le boulot consiste à conduire des camions, préparer à manger pour l’équipe de tournage, ou installer une loge. À force de « rigueur » et « d’extrême disponibilité », Pierre-François, fan de Gaspard Noé, passe régisseur général après cinq ans d’expérience. Débute alors une course effrénée d’une décennie pendant laquelle il travaille quasiment sans interruption. Majoritairement pour la publicité de luxe, mais aussi les clips musicaux de Disiz La Peste ou du Secteur Ä. Durant cette période, il en profite pour rencontrer tous les corps de métiers cinématographiques et gagner en compétences. En parallèle, il monte ses projets personnels ; prend notamment la casquette de réalisateur pour mettre en scène les clips et courts-métrages des copains. Mais ce qui le guettait depuis déjà quelque temps finit par tomber : un burn-out. « Dans ce métier, il faut être prêt à faire des journées de 14 h sans s’arrêter et en plus être efficace, car la minute de tournage coûte cher », explique-t-il. Pierre-François suit alors le chemin de la lumière pour devenir chef-électro, chargé des projecteurs sur les tournages et l’alimentation électrique des plateaux. Comparaison culinaire de l’intéressé : « c’est la lumière qui fait l’image, et le contraste au cinéma, c’est un peu comme le gras dans la cuisine : c’est ce qui donne le goût… » Les clients pour lesquels il travaille se nomment Nekfeu, Alpha Wann ou Benjamin Biolay. « J’ai découvert un vrai plaisir du travail manuel que j’ignorais complètement, explique-t-il. Un moment, ça devient ton corps qui décide et ton esprit déconnecte, comme une sorte de transe. »
L’an dernier, il fabrique 30 000 visières de protection
L’an passé, au début de la pandémie, « Pif » se souvient avoir été très remonté à l’encontre du Gouvernement : « il n’y avait pas de masques et une incompétence crasse des services de l’État pour assurer notre santé. » Pas du genre à rester les bras croisés sur son canapé, il se lance alors dans la fabrication de visières de protection grâce à son imprimante 3D. « C’était un rempart insuffisant, mais le seul à l’époque contre la propagation de la Covid… », analyse-t-il aujourd’hui. Grâce à son groupe de cinq personnes, près de 30 000 visières ont bénéficié aux personnels de santé dans la région. Depuis, le quarantenaire a déménagé dans une maison composée de plusieurs ateliers où il rafistole de nombreux meubles, tables et autre barbecue. Cette fois, le bricoleur pioche un principe des années 80 pour expliquer sa démarche : « si tu ne sais pas comment un objet fonctionne, il ne t’appartient pas vraiment… » Un nouvel aphorisme qui vient compléter de belle manière celui de son père, appris des années plus tôt.