Iena et ses trois enfants sont arrivés il y a trois semaines à Orléans en provenance de de la banlieue de Kharkiv, au nord-est de l’Ukraine. Comme dans tant d’autres familles, le papa de Yulia, Sacha et Artem est resté au pays pour combattre. Après avoir transité par la Pologne, Iena, 41 ans, a pu embarquer dans l’un des deux cars affrétés par la Ville d’Orléans. La famille est arrivée dans le Loiret le 17 mars dernier, puis a été hébergée par Fabienne et Patrice, un couple d’Orléanais habitant dans le quartier Dunois. « Cette guerre en Ukraine nous a beaucoup touchés, raconte ce couple. Nous nous sommes tout de suite sentis proches de ce peuple. Notre maison était vide au premier étage. Pour nous, c’était une évidence. » Depuis, c’est une cohabitation souple qui s’organise au sein du foyer. La communication n’est pas toujours facile, Iena ne parlant ni anglais, ni français, mais les outils de traduction sur smartphone fonctionnent pourtant à plein. Et déjà, Iena et ses enfants ont appris quelques rudiments de notre langue. « Bonjour », « bonsoir », « comment ça va ? » : les bases sont là. Fabienne et Patrice ont fait découvrir la raclette à leurs convives, Iena et ses enfants leur ont appris, en retour, comment cuisiner un bortsch, l’un des plats typiques de l’Europe de l’Est. « On se sent ici comme à la maison », affirme Iena, qui commence d’ailleurs à prendre ses marques à Orléans. Depuis une semaine, elle a trouvé un travail dans une entreprise locale où elle s’occupe du conditionnement de paquets. Iena a déniché ce job par l’entremise d’une Ukrainienne dont elle a fait la connaissance dans le bus qui l’amenait à Orléans. Sa famille d’accueil, qui n’en sait pas tellement plus, a juste voulu s’assurer que le tuyau n’était pas percé. « Nous avons regardé le contrat de travail, tout est en ordre », assure Fabienne.
« Une grand efficacité »
Yulia, Sacha et Artem, âgés de 16, 10 et 8 ans, sont pour leur part désormais scolarisés à Orléans. De jolis yeux bleus et une frimousse à croquer, Sacha arbore un sourire désarmant en confiant ses premiers jours sur les bancs d’une école française. « La cantine donne de la bonne nourriture !, se réjouit-elle, le plus naturellement du monde. Ça se passe bien à l’école, l’institutrice me traduit ce que je dois faire grâce à Google Translate. Le premier jour, j’ai eu un cadeau de la part des élèves de ma classe : ils m’avaient fait un bracelet avec mon prénom marqué dessus. » Sacha engouffre un yaourt, puis repart vaquer à ses occupations. Comme ses frères et sœurs, elle est inscrite dans une bibliothèque de la ville. Elle ne montre rien, au premier abord, des sentiments plus profonds qui peuvent l’animer, elle, petite fille de 10 ans séparée de son papa mais aussi de sa grand-mère, restée dans le Donbass, un des épicentres des combats en Ukraine. Le comportement de sa maman force lui aussi l’admiration. Le regard d’Iena, d’une clarté opaline, se mouille parfois quand elle parle de son pays, mais la digue ne sautera jamais devant nous. Elle sourira même en évoquant sa découverte de la forêt d’Orléans ou du possible voyage qu’elle fera peut-être à Paris pour y retrouver une connaissance qu’elle avait faite, autrefois, à Kharkiv. Iena remercie souvent sa famille d’accueil et, plus généralement, loue les conditions dans lesquelles elle-même et ses trois enfants ont été pris en charge par la Ville : « Il n’y a pas de complication, tout a été fait avec une grande efficacité ». C’est aussi le point de vue de Geofroid, un Camerounais de 29 ans qui nous sert d’interprète. Lui aussi est hébergé par une famille d’accueil depuis trois semaines. Il est arrivé à Orléans dans le même bus que Iena, avec sa femme, Ukrainienne, et son petit garçon de 3 ans. Geofroid vivait depuis 12 ans en Ukraine, qu’il a traversée d’est en ouest, de Vinitza à Kharkiv et de Donetsk à Kiev. Initialement, il était venu là-bas pour jouer au football. D’ailleurs, ce grand gaillard passa un bout d’essai au Chaktar Donetsk, le deuxième plus grand club du pays. En Ukraine, il a écumé les deuxième et troisième divisions locales, mais a subi deux blessures au genou et à l’omoplate en même temps qu’il faisait la rencontre d’intermédiaires pas très clairs, qui ont ralenti sa progression. Geofroid, qui a travaillé sept ans dans une usine qui fabriquait des peaux de vison, raconte comment il s’est attaché à son pays d’adoption : « Là-bas, je n’ai jamais connu le racisme, confie-t-il. Les gens me disaient même : « on a oublié que tu étais noir ! Tu es des nôtres, tu es un cosaque ! »
Geofroid a quitté Kiev quelques jours après le début du conflit. Avec femme et enfant, son périple l’a mené à Lviv, puis en Pologne, où il a atterri dans l’un des cars qui le menait à Orléans, après qu’un groupe de huit personnes eut décidé de ne pas y prendre place… Le fait qu’il parle à la fois ukrainien et français a été d’un précieux secours à l’équipe orléanaise. D’ailleurs, depuis qu’il est arrivé dans le Loiret, il continue d’être l’un des interlocuteurs privilégiés du CCAS de la Ville d’Orléans pour ses qualités de traducteur. Quand on lui apprend qu’un club de football de troisième division existe à Orléans, les yeux de Geofroid s’allument. Un milieu de terrain travailleur, cela n’intéresserait pas les recruteurs de l’USO ? « Tu penses qu’ils payent ? », nous demande Geofroid, prêt à accepter, sinon, d’autres petits (ou grands) boulots pour pouvoir nourrir sa famille. Enthousiaste, il assure pourtant avoir été reçu comme un roi par les Orléanais qui l’hébergent. « Cette famille, c’est comme si on était déjà parents, s’exclame-t-il. Pour l’instant, on n’a jamais dépensé un sou, ils nous emmènent où on veut… Cette hospitalité, c’est le meilleur des cadeaux. Mais je ne veux pas rester là à attendre les aides. »
Que la bête meure
Quand il était en Pologne, Geofroid, qui ne connaissait pas Orléans, voulait débarquer « dans une banlieue calme, pour oublier ça ». Ça : cette guerre, cette peur, cette folie. De grands-parents russes, Iena ne comprend toujours pas, pour sa part, comment l’Ukraine a pu être ainsi transformé en un tel champ d’horreurs alors que, selon elles, tout se passait bien entre Ukrainiens et populations russophones. Dans sa bouche, ce conflit destructeur est à mettre au débit d’un seul homme : Vladimir Poutine. « Mon plus grand désir est qu’il meure », lâche sobrement Iena, en pointant la stratégie aussi insensée qu’absurde du Kremlin : « Poutine détruit des villages de 10 personnes, des vieillards, des innocents. Mais quel est l’intérêt ? Il bombarde et extermine (sic) même les zones et populations russophones. C’est désolant. Il est malade dans sa tête. Il a le même parcours qu’Hitler… ». Le débit d’Iéna devient plus rapide quand la conversation glisse sur ce terrain. Incompréhension et amertume semblent prédominer dans l’esprit de cette jeune femme qui a dû tout quitter, son mari, sa mère et ses amis pour sauver ses enfants. Malgré tout, s’imagine-t-elle, un jour rentrer chez elle ? « C’est difficile d’appréhender un avenir prospère en Ukraine, répond-elle, mais c’est mon pays. On revient toujours chez soi… » Geofroid, lui non plus, ne sait pas de quoi demain sera fait. « Je ne souhaite pas que mon fils voie tout ce désordre, je veux qu’il grandisse dans un environnement paisible », relève-t-il. Personne ne peut évidemment prédire, aujourd’hui, quelles directions prendront ces chemins de vie fracassés. Fabienne, qui héberge Iena et sa famille, conclut en formulant un souhait simple : « pouvoir, un jour, aller les revoir en Ukraine ».