« Si c’est pour la politique, non merci, c’est pas mon truc ! » Le malentendu sera vite dissipé. Si nous venons voir Didier Sommier, ce n’est pas pour parler des municipales, mais de lui et du surnom de « Monsieur le Maire » (des SDF) qui lui colle à la peau depuis des années, au point que même des policiers l’appellent comme ça, « Monsieur le Maire ». Le « premier édile » underground explique le pourquoi du comment : « Ça date de quand je traînais. Un jour, on a trouvé une banderole tricolore sur le marché. À l’époque, on squattait près des quais, au bas du pont Wilson. Il y avait une cabane, et on a décidé que ce serait notre mairie. Bon, c’est bien d’avoir une mairie, mais s’il n’y a pas de maire, c’est pas crédible. J’étais avec des punks, et j’ai eu l’idée, pour rire, de faire un mariage punk, en utilisant la banderole comme écharpe. »
D’autres « mariages » entre punks et punkettes suivront, la bande se transportant à l’occasion du côté de la place Plum’. « On était trente zonards, certains avaient jusqu’à huit chiens, alors vous imaginez la troupe ! » Les toutous, bien sûr, étaient conviés aux « nonoces » – clin d’œil à l’amateur de jeux de mots qu’est Didier –, drôles de cérémonies qui, selon lui, n’ont pas engendré d’hostilité particulière de la part des habitants ni des forces de l’ordre. « En général, pour faire la fête, on revenait près des quais, comme ça il n’y avait pas d’embrouille avec le haut de la ville. » Pas d’embrouille non plus pour gagner quotidiennement de quoi vivre. Dans la journée, le groupe se partageait entre ceux qui allaient faire la manche « en haut » et ceux qui restaient « en bas », avant d’inverser les rôles. Une vraie communauté, à effectifs variables. Avec un code de conduite à honorer : « Il fallait être honnête et respecter les gens. » Plus âgé que les autres, nanti d’une autorité naturelle – sans compter celle que confère le titre de « maire » ! – Didier prenait à part les têtes trop chaudes. « Quand les gars faisaient les andouilles, je les amenais au ″bureau″ – c’était un endroit que j’appelais comme ça – et je leur disais que ce n’était pas bien de se faire remarquer. »
Prince de la zone
La rue ? Pour lui, ce fut un choix, après un licenciement dû à une compression de personnel. Le choix de la liberté, de l’absence de contraintes autres que manger, boire et fumer. Mais la marginalité est sœur de l’enfer ; on y côtoie l’alcool, la drogue, la mort aussi. « Et moi, je suis encore là… » Dix-sept ans à « traîner », selon ses termes, à dormir devant la fac des Tanneurs, ou sous le pont de pierre. Et toujours à Tours : « Monsieur le Maire » est resté fidèle à la ville qui l’a vu naître, grandir, qui l’a pris dans ses bras quand la vie est devenue plus compliquée. Fidèle à la Loire aussi, fleuve sauvage dont ce rebelle ne pourrait se passer, et qui a été son bol d’oxygène pendant le confinement car elle coule à quelques dizaines de mètres de chez lui, quartier Paul-Bert. « Chez lui » ? Eh oui : depuis un peu plus de deux ans, Didier est installé dans un appartement, trouvé avec l’aide de sa copine et des services sociaux. Qui aurait parié là-dessus ? À cinquante ans passés, on peut en avoir marre de la rue, quand bien même on la tutoie depuis l’enfance (« à 8 ans, j’étais déjà avec les clochards »). Un accident a activé les choses ; Didier est tombé d’un muret dans son sommeil. Une chute de quatre mètres qui lui a fracassé une hanche. Remis sur pied, il a emménagé et dit au revoir, en partie, à sa vie d’avant. En partie seulement, car s’il est casé, il rejoint régulièrement son QG des Halles pour faire la manche, encore nécessaire pour subvenir à ses besoins.
Un dernier mot de politique tout de même, Monsieur le Maire ? « J’étais anarchiste au début, mais je me suis rendu compte que c’était le gros bordel. Je préfère être révolutionnaire. Faire la révolution sans casser les choses. » Votez Didier !