Dans quel état d’esprit êtes-vous après ces 4 mois et demi de fermeture des lieux culturels dont celui que vous dirigez ?
Comme nombre d’acteurs de la culture, j’oscille entre colère et inquiétude. Colère par rapport à la durée de cette fermeture. C’est incompréhensible : les lieux de culture ne peuvent pas être plus contaminants que les supermarchés bondés le week-end… Des études ont été faites, à l’étranger notamment, qui le démontrent. Il y a donc des choix qui sont faits et qui, objectivement, sont incompréhensibles. Mais cela raconte beaucoup des priorités du monde dans lequel on vit et ce n’est pas très réjouissant car, qu’est-ce qu’un monde sans culture ? Pas très gai assurément, on le constate tous les jours…
Votre inquiétude porte sur quoi ?
Plus cette situation perdure et plus ce sont nos métiers artistiques qui sont fragilisés.Quel que soit le secteur culturel, il va y avoir des dégâts. Beaucoup de gens souffrent, il y a des destins qui seront brisés, des talents qui seront fauchés, chez les jeunes notamment, avant même qu’ils aient pu éclore, parce que beaucoup se découragent, baissent les bras et risquent d’abandonner parce qu’ils ne voient pas le bout du tunnel, comment ils vont pouvoir s’en sortir… Le gâchis peut être irrémédiable… C’est d’ailleurs un autre réel problème : nous n’avons aucune perspective quant à une date de réouverture, tout le monde navigue à vue, au jour le jour. Cette situation est tout à fait regrettable et ce qui était admissible lors du premier confinement l’est beaucoup moins maintenant… D’autant que nous avions tout fait sur le plan du protocole pour accueillir le public, en demi-jauge, dans des conditions sanitaires sûres et que nous aurions pu le refaire aujourd’hui, quitte à la renforcer encore…
« Énormément de travail pour gérer les annulations et reports »
Quelle est la situation actuellement au théâtre Olympia ?
La saison est en train de s’évaporer chaque jour un peu plus, les spectacles ne pourront pas être joués et ne le seront jamais pour certains puisqu’on ne pourra pas tout reprogrammer la saison prochaine, des créations vont donc passer à la trappe avec ce que ça représente comme déception pour les artistes. Mais nous faisons en sorte d’être solidaires avec les compagnies et, en tant que producteur, co-financeur de certains spectacles, le CDN Tours doit répondre présent et tenir ses engagements… Nous ferons en sorte d’adapter la saison prochaine pour que le maximum de spectacles continuent à vivre…
Vous continuez à travailler ?
Oui, bien sûr, il y a énormément de travail. Pas pour tout le monde malheureusement, certains techniciens ou personnels d’accueil étant au chômage technique. Mais l’administration et la production sont très occupées, d’abord parce qu’il faut gérer ces annulations et reports au mieux. Nous préparons aussi la saison à venir et on continue de travailler sur de futurs projets. C’est tout de même la bonne nouvelle dans ce marasme : en ces temps très difficiles pour tous les professionnels et les artistes, nous continuons à alimenter la flamme du théâtre, à faire en sorte que notre art vive malgré la crise. Les jeunes comédiens permanents du CDN Tours continuent donc de travailler , comme avec le collège de Ligueil par exemple, pour monter un spectacle de fin d’année qui, on l’espère pourra être joué en juin. J’ai aussi fait une master class à distance sur Twitch avec les élèves de la classe théâtre du lycée Grandmont, par exemple. Dans un autre registre, nous avons accueilli dans le hall des étudiants de l’université, pas pour du théâtre, simplement pour leur offrir un lieu de sociabilité pendant une demi-journée alors qu’ils sont isolés depuis des mois aussi. C’est une initiative qui leur permet de sortir de leur isolement. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est une façon de les soutenir aussi à notre niveau…
De nouvelles formes de théâtre à distance !
Le théâtre est donc devenu un lieu d’accueil ?
Oui, tout à fait. En tant qu’institution, c’est aussi notre rôle d’aider et d’accueillir ceux qui n’ont pas de lieu. Nous avons été énormément sollicités par des compagnies locales pour venir en résidence et nous y avons répondu dans la mesure du possible car continuer à travailler pour les comédiens, c’est fondamental et c’est bien plus facile dans un lieu adapté comme l’est le théâtre Olympia. Et puis quelques jours de travail cela signifie aussi quelques cachets, par les temps qui courent c’est précieux… Nous avons aussi associé au théâtre un auteur et une photographe afin qu’ils puissent continuer à travailler alors qu’ils ne bénéficient pas du statut d’intermittents… Nous devons être solidaires dès que nous le pouvons, c’est notre rôle…
Sur le plan artistique, il y a tout de même quelques propositions de théâtre en temps de Covid ?
Oui, on essaie de se réinventer et de s’adapter aux contexte. Il ya a eu par exemple un spectacle conçu pour être vu sur l’application Zoom avec les comédiens qui jouaient chacun dans un lieu différent et 90 spectateurs suivant à distance et qui pouvaient apparaître dans la mosaïque, c’était très intéressant sur le plan artistique, c’est une nouvelle forme qui sera peut-être amenée à se pérenniser…
Que peut-il se passer ces prochaines semaines ?
Le premier point c’est que nous serons prêts à rouvrir rapidement après l’annonce officielle de réouverture des salles de spectacle. Il nous faut un délai de deux trois semaines pour être opérationnels, le temps de préparer un spectacle, de relancer la communication, d’organiser la billetterie… Donc si le feu vert est donné, nous nous tenons prêts… Ensuite, nous prolongerons autant que possible la saison au-delà du mois de juin, au théâtre mais aussi hors les murs puisque nous participerons aux Estivales organisés par la Ville de Tours et nous irons jouer en extérieur dans les quartiers à la rencontre de gens qui ne sont pas forcément habitués à voir ou à venir au théâtre. Et puis arrivera la saison prochaine où l’on peut envisager, en effet, de programmer davantage de spectacles, peut-être sur des durées plus courtes, pour permettre de réparer un peu les dégâts causés par cette fermeture bien trop longue… Donc le théâtre bouge encore, nous sommes encore vivants et les artistes se tiennent prêts à remonter sur scène. Pour eux parce que c’est leur métier et qu’ils doivent en vivre, mais aussi pour la population car l’art n’est pas essentiel, il est vital !