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Neuf enseignements pour Tours

Neuf enseignements pour Tours

Mathis Navard, animateur du site letramdetours.net, et membre avec Alain Devineau du Collectif Citoyen pour le Tramway et les Mobilités, a réalisé un périple à travers neuf pays et visité une vingtaine de villes pour observer le fonctionnement de leurs réseaux de tramways au regard de la situation à Tours. Résultat : alors que nos déplacements quotidiens sont frappés de plein fouet par la crise énergétique et que la décarbonation de nos mobilités est une priorité pour sortir de cette dépendance aux énergies fossibles, le tramway fait partie de la solution adoptée partout en Europe. Mais comparé aux autres pays, son modèle de développement en France se heurte à des limites notamment à cause des difficultés d’insertion dans l’environnement urbain qui engendre des coûts exorbitants… Le projet de la 2e ligne tourangelle en est la parfaite illustration alors que partout ailleurs en Europe, le tram poursuit son essor en faisant fi de ces contraintes.
P.N.

Leçon n°1 : un réseau de tramway n’est pas nécessairement cher

Avec un budget de 500 millions d’euros, la 2e ligne du tram de Tours est un projet de luxe, alors qu’on sait construire des réseaux bon marché, modernes et performants ailleurs en Europe. En tenant compte de l’inflation, chaque rame de notre ligne A a coûté 4 M€, alors que Budapest a fait le même choix que Besançon en acquérant des trams neufs pour 2 M€, sans pour autant rogner sur le design.
En 2010, la capitale hongroise a même su récupérer une soixantaine de tramways d’occasion auprès de la Ville de Hanovre (Allemagne) pour la somme record de 400 000 € la rame. En plus de ce marché de seconde main somme toute assez banal, le reconditionnement de très vieux matériel roulant est aussi très répandu, comme à Gdańsk ou à Cracovie (Pologne) où des véhicules très anciens semblent tout droit sortis d’usine.
D’autres leviers existent pour baisser ces coûts : limiter les réaménagements urbains et les dévoiements de réseaux ou encore maximiser les financements extérieurs. À Košice (Slovaquie), la modernisation de la flotte de tramway a été subventionnée à plus de 80 % par la Commission européenne. À Zurich (Suisse), certains modes de transport, comme les funiculaires, sont payés par des entreprises privées.

Leçon n°2 : un tramway est un véhicule très agile et qui s’adapte à son environnement urbain

« Traminator », « tramway-bulldozer » :
les mots de certains opposants au projet de ligne B ne manquent pas pour traiter le tramway comme un mode de transport destructeur. Il est vrai que l’approche française implique souvent du renouvellement urbain et la construction d’infrastructures dédiées gourmandes en espace. Certains montrent du doigt l’avenue Maginot qui fait cohabiter trams, autos et cycles, et approuvent l’interdiction des vélos rue Nationale. Alors que bon nombre d’exemples en Europe démontrent au contraire que le tramway sait se frayer un chemin parmi les piétons et cyclistes dans les ruelles étroites ou parmi le trafic routier. Le tramway reste un cousin du train dont il partage de nombreuses caractéristiques techniques. Des villes européennes l’ont bien compris, en développant des réseaux hybrides dont l’exemple le plus impressionnant est le tram-train de Karlsruhe (Allemagne) qui s’étend sur 460 km. D’autres réseaux analogues existent ailleurs : à Innsbruck et Gmunden (Autriche) ou Zurich (Suisse), les lignes de train local ont fusionné avec le réseau de tramway ; à Budapest (Hongrie), c’est le cas du train à crémaillère. À Coire (Suisse), le train du réseau rhétique se transforme en tramway en agglomération.
À Tours aussi, l’ADTT (Association pour le Développement des Transports Publics), le Collectif Citoyen pour le Tramway et les Mobilités et Le Tram de Tours se battent depuis des années pour faire avancer l’idée d’un réseau de tram-train. Mais les tracasseries normatives et administratives, notamment de la SNCF, laissent penser qu’un tel projet a encore de nombreux obstacles devant lui.

Leçon n°3 : la performance du tramway est étroitement liée à celle de l’ensemble du réseau de transport

L’efficacité du tramway réside aussi dans la performance et dans la bonne articulation avec les autres réseaux de mobilités. À Tours, la ligne A a été conçue en complémentarité avec la voiture, le bus et le train via le pôle d’échanges Jean Jaurès – gare de Tours et la construction de cinq parkings-
relais. Ailleurs en Europe, l’usager du tram est avant tout un piéton ou un cycliste. La signalétique urbaine est pensée à leur échelle, avec une continuité forte entre la rue, le quai et le matériel roulant, une réelle ergonomie des infrastructures cyclables et des stations qui garantissent un confort maximal aux voyageurs. À Gmunden (Autriche), les stations protègent de la pluie et du vent ; à Innsbruck (Autriche), certains arrêts sont dotés de toilettes. Ce qui vaut pour les trams vaut pour les trains : dans les pays germaniques, les gares sont souvent des espaces publics chaleureux et ouverts sur la ville.

Leçon n°4 : les tramways ne se démodent pas et continuent de se développer

« Trambus », « bus à hydrogène », « tramway sur pneus » : les opposants tourangeaux à la ligne B proposent souvent des alternatives qui ont démontré leur inefficacité ailleurs. Alors que certains remettent encore en cause la 2e ligne, les réseaux de tram poursuivent leur essor sur tout le reste du continent. Košice (Slovaquie) songe à développer son réseau de tram pour sa desserte régionale, tandis que Graz (Autriche) prolongera six lignes en 2023 pour un budget à bas coût de 117 M€. En Allemagne, Berlin souhaite renouer avec son passé en faisant revenir à l’ouest des lignes qui avaient été démantelées lors de la construction du Mur.

Leçon n°5 : les tramways ne sont pas l’apanage des grandes villes

Avec 300 000 habitants, certains considèrent que notre métropole n’a pas besoin de ligne de tram supplémentaire. À Francfort-sur-l’Oder située à la frontière germano-polonaise, la ville compte cinq lignes pour 53 000 habitants. À Gmunden, il n’y a qu’une ligne, mais elle fait 20 km pour un territoire de 25 000 habitants. À Innsbruck, des lignes alpines desservent des petits villages situés à 1 000 mètres d’altitude. Souvenons-nous que Tours possédait neuf lignes de tramway lors de l’apogée du réseau dans l’entre-deux-guerres, alors qu’elle ne comptait que 80 000 habitants !
Disparues du paysage français au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certaines de ces lignes vicinales, qui circulent entre ville et campagne, ont survécu ailleurs en Europe. Dans la banlieue de Berlin, les services de Schöneiche et Woltersdorf assurent la correspondance avec le RER local dans une ambiance champêtre et qui rappelle le temps où il était possible de se rendre en tram à Athée-sur-Cher, Fondettes ou Vouvray depuis le centre-ville de Tours.

Leçon n°6 : grâce à une approche « maillée » du réseau, plusieurs lignes circulent sur des troncs communs

En France, beaucoup de réseaux sont récents et ont été conçus à partir de lignes indépendantes, sur un modèle radial avec un ou deux points de croisement. Rares sont les villes (Grenoble, Strasbourg et Montpellier) où le développement de réseaux maillés permet l’exploitation indifférente de tel ou tel tronçon par plusieurs lignes. Que l’on pense à Dresde (Allemagne), Poznań (Pologne) ou Zurich, les réseaux maillés garantissent une qualité de service inégalable pour les passagers dont l’attente se limite souvent à quelques minutes, voire quelques dizaines de secondes sur les « troncs communs ». Tours semble heureusement y songer, avec l’esquisse d’une ligne B bis qui partagerait les tronçons des lignes A et B en bifurquant sur la place de la Liberté.
Même lorsque le réseau d’une ville atteint un maillage important, il est toujours possible de le compléter en réalisant des interventions minimes sur les voies existantes. À Budapest, une nouvelle ligne de 9,4 km a vu le jour en 2020 après l’ajout d’un simple aiguillage qui a rendu possible une liaison qui n’existait pas auparavant, sans construction de voie nouvelle.

Leçon n°7 : les infrastructures de tramway permettent de fournir d’autres services que le transport de voyageurs

Parfois, les tramways permettent des services de fret urbain. À Tours, les habitants de la rue Nationale étaient d’ailleurs parfois réveillés par la douce odeur du fumier convoyé par le vieux tortillard. Heureusement, ces nuisances sont de l’histoire ancienne là où le fret urbain a subsisté ou s’est développé. Les « cargo-trams » de Dresde et Zurich font partie du club très fermé des solutions de logistique urbaine basées sur l’utilisation du tramway. Dans la métropole suisse, la régie des transports et l’organisme chargé de la collecte utilisent le tramway pour ramasser les déchets encombrants, produits métalliques et électroniques.

Leçon n°8 : il existe une culture du « tout tramway » comme il existe une culture du « tout voiture »

Ce qui est sans doute le plus frappant lorsque l’on traverse toutes ces villes, c’est la culture populaire autour du tramway, qui façonne un riche imaginaire depuis plus d’un siècle. Livres, jeux et objets dérivés illustrent cette appropriation. Beaucoup de villes possèdent aussi des musées consacrés à l’histoire de leur tramway et des transports en commun, où les véhicules sont exposés dans des états de conservation remarquables. Quelquefois, il suffit de sortir des sentiers battus pour saisir à quel point les habitants ont noué une relation si particulière avec « leur » tram. À Schöneiche, dans la banlieue de Berlin, l’art de rue en a fait son égérie. Il commémore 112 ans de vie à ses côtés. La commune autrichienne de Gmunden organise des expositions historiques qui se poursuivent en sentiers de randonnée. À ces initiatives s’ajoute le remarquable travail de conservation mené par des milliers de bénévoles sur tout le Vieux Continent. Grâce à de puissants réseaux associatifs, ils continuent de faire vivre cet héritage industriel. Les beaux jours venus, des tramways historiques conduits par des passionnés sillonnent les centres-villes, faisant rêver petits et grands, habitants et touristes.

Leçon n°9 et conclusion : le « tramway à la française » ne s’exporte pas

Ce tour d’horizon européen permet de réaliser à quel point le renouveau du tramway en France à partir des années 1980 – à Nantes puis Grenoble — s’est fait de façon singulière, en contrepied de nos voisins européens. Objet onéreux remarquable par son design, le « tramway à la française » circule quasi exclusivement en sites propres au cœur de grandes métropoles, snobant le train et le vélo, et imposant une reconfiguration radicale des centres-villes. L’excès de contraintes normatives le rend impotent et de plus en plus difficile à adapter à son environnement. Les débats autour du passage de la ligne B dans le centre de Tours en sont la meilleure illustration. Au-delà de nos frontières, on ne voit aucun inconvénient à faire circuler une ligne de tramway dans le flux de la circulation, y compris dans des zones fortement contraintes. L’intermodalité y règne en maître et les voies ferrées forment de tentaculaires continuums où trains et tramways se confondent parfois. Loin de se limiter aux grandes villes, ils irriguent tous les territoires. À la campagne, les lignes vicinales désenclavent les villages comme c’était encore le cas chez nous il y a cent ans.

Cette recette porte ses fruits : tous ces pays qui n’ont jamais renoncé au tramway voient la fréquentation de leur réseau progresser. Conséquence directe, ils investissent massivement dans ce mode et le rendent toujours plus performant et compétitif. Un phénomène qui n’est en rien corrélé au niveau de richesse. Les rames d’occasion font le bonheur des petites municipalités et des aides financières sont disponibles.

Le constat est sévère mais il est pourtant nécessaire de le dresser : ce cercle vertueux n’a jamais été enclenché dans l’Hexagone ! À l’exception de quelques pays amis de la France, notre modèle ne s’exporte pas. Pire, dans un contexte inflationniste, il atteint ses limites dans son propre pays avec des projets qui semblent se fragiliser chaque jour un peu plus en raison de leur coût qui explose…

À une époque où la précarité énergétique met en exergue notre dépendance aux énergies fossiles pour nous déplacer et où le report modal est devenu un impératif environnemental, il serait temps d’importer le « tramway à l’européenne ». La ville de Besançon s’y est essayée avec succès en construisant deux lignes pour 228 M€ seulement. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie et accélérer le mouvement ?

Une réponse

  1. cet article est très bien conçu.il montre qu’il faut être audacieux à tours si on veut faire comme les autres villes d’europe.un grand merci à l’auteur de ce reportage.

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