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Faut-il reconfiner les seniors ?

Faut-il reconfiner les seniors ?

Entre une économie gravement touchée et la crainte d'un reconfinement général, il n'est pas rare d'entendre certains plaider pour un reconfinement des personnes âgées et fragiles, comme cela a été évoqué dans d'autres pays. Une solution qui n'est pas défendue aujourd'hui par les soignants, les aidants et les élus locaux.
Gaëla Messerli (avec B.V)
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Dans les colonnes du Monde, le 25 septembre dernier, on pouvait lire qu’en Russie, le maire de Moscou avait exhorté « les Moscovites de plus de 65 ans et les plus jeunes souffrant de maladies chroniques à ne plus sortir de chez eux ». Pas besoin d’aller aussi loin pour entendre cette hypothèse de (re)confiner les seniors faire surface, en France, dans le débat public. Il suffit en effet de se rendre au café du coin pour entendre certains estimer qu’il serait préférable de cloisonner les plus vulnérables chez eux pour que l’économie puisse tourner…

N’en déplaise à ces voix qui montent ainsi, cette solution n’est pas préconisée dans notre département, ni par les autorités compétentes en matière de santé, ni par les spécialistes de la question. Thierry Prazuck, chef de service des maladies infectieuses du centre hospitalier d’Orléans, insiste plutôt sur la nécessité de porter le masque et d’utilser du gel hydroalcoolique pour les personnes les plus vulnérables, même dans un cadre familial. « Les seniors peuvent avoir une vie sociale, explique le médecin. Je rappelle également qu’au printemps, il y a déjà eu des effets secondaires liés au confinement pour les plus âgés… » Du côté de l’Agence Régionale de Santé du Centre-Val de Loire, Christophe Lugnot, directeur de cabinet, ne souhaite pas se prononcer sur la question : « la trancher n’est pas du ressort de l’ARS, mais du Gouvernement. Néanmoins, tout est fait aujourd’hui pour éviter un reconfinement, même partiel. Chacun a une responsabilité individuelle et collective. Nous avons tous des proches concernés. Il y a encore des décès liés à la Covid-19, et nous pouvons les éviter ! » 

À l’EPSM Georges-Daumézon, Laurence Mitaine, cadre de santé de la filière de géronto-psychiatrie, prévient : « on ne peut pas être pour ou contre un confinement ; on ne peut faire qu’appliquer les directives gouvernementales. » Cependant, pour cette professionnelle de santé, il s’agit d’« une vraie question éthique : doit-on privilégier la santé de la population ou l’enjeu économique et social ? Ce sont des décisions difficiles à prendre, avec des conséquences psychologiques, même chez des gens plus jeunes. » Lors du confinement, les équipes de Daumézon ont ainsi pu observer une majoration des troubles de certains de leurs patients âgés « chez des personnes ayant un terrain fragile. » Les équipes ont cependant maintenu le plus longtemps possible les visites à domicile, car « la rencontre physique permet de prodiguer les soins les plus adaptés. » Néanmoins, Laurence Mitaine constate : « pour certaines personnes, arrêter leurs activités ou ne pas voir leurs petits-enfants peut être catastrophique. Les personnes âgées ne se projettent pas à long terme, le rapport au temps n’est pas le même qu’à 25 ou 50 ans. Cependant, nous voyons aussi d’autres personnes qui ne peuvent se rendre à leurs activités, car la proximité des autres corps les angoisse. C’est le contexte sanitaire qui génère cela. » 

« Pendant le confinement, certains ont régressé » 

Du côté des associations comme les Petits frères des Pauvres, qui rendent visite à une soixantaine de personnes âgées dans la métropole, on est totalement opposé à un reconfinement des personnes âgées : « ce serait une catastrophe complète, tonne Anne-Marie Mériaud, la responsable de l’association orléanaise. Les personnes fragiles qui sont inquiètes se confinent déjà. Et puis aujourd’hui, venir dans un EHPAD est très compliqué, il y a beaucoup de contrôles… ». En raison des interdictions de rassemblement de plus de trente personnes, l’association a déjà annulé les goûters qu’elle organisait avec les personnes qu’elle accompagne. « Elles en ont beaucoup souffert quand on leur a annoncé, affirme Anne-Marie Mériaud. Bon, on se débrouille quand même pour faire des sorties par groupe de deux ou quatre… » 

Pour Stéphanie Coutan, directrice coordinatrice de trois résidences Idylia dans la métropole, un nouveau confinement serait également « préjudiciable. Certes, nos résidents sont tout à la fois anxieux et prudents, mais les gens qui sont chez nous veulent voir du monde. J’ai bien vu les effets du confinement : certains ont régressé. Par contre, le moral est remonté dès que nous avons pu rouvrir les parties communes et les activités. » Pour pallier la suppression des fêtes d’anniversaires, la directrice déploie d’ailleurs des trésors de créativité pour créer une animation compatible avec le protocole sanitaire. « Là, je vais organiser des petits-déjeuners le vendredi par groupe de dix, et les résidents sont ravis. Mais pour le marché de Noël et l’organisation du repas de Noël, on ne sait pas encore ce que l’on pourra faire… » 

Si les professionnels du troisième âge et les associations sont donc opposés à un reconfinement des personnes âgées, les responsables politiques locaux ne sont guère plus enchantés par cette hypothèse. Pour Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret, un nouveau confinement en raison de l’âge serait ainsi discriminatoire. « Il faut être strict dans les mesures sanitaires, mais aussi rester dans l’humanité, conserver le respect de chacun et refuser des discriminations basées sur l’âge, note l’ancien maire d’Orléans. Sinon, les personnes âgées risquent de mourir de désespoir et de solitude. » Pour l’anecdote, Jean-Pierre Sueur se rappelle ainsi une femme âgée qui souriait à la vue de ses petits-enfants. « Même si c’est avec de la distance, ce contact demeure important », plaide-t-il. Stéphanie Rist, députée du Loiret, ne dit pas mieux que son collègue sénateur : le reconfinement des personnes âgées, elle n’y croit pas une seconde. « Si une telle mesure était prise, on pourrait rapidement crier à la discrimination, abonde la parlementaire LaREM. Soyons clairs : pendant encore un an, un an et demi, nous allons traîner ce virus. Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire aux personnes âgées : « durant tout ce laps de temps, vous allez être confinées ». Si vous leur imposez ça, vous mettez le feu. » De plus, Stéphanie Rist explique qu’il « n’y a pas que des personnes âgées en réanimation. Il y a aussi d’autres personnes à risque, fragiles. Que fait-on avec celles-là ? On les reconfine aussi ? »

Dans un rapport au mois de mai, le comité consultatif national d’éthique Pour les sciences de la vie et de la santé posait déjà la question d’un reconfinement partiel : « peut-on vraiment éviter une catégorisation des personnes qui aurait comme effet de fragmenter la société en cristallisant des oppositions, voire des haines ? Les incidences sociales majeures de la crise actuelle créent un défi de la solidarité, mais il y a un réel risque que chacun ne soit tenté de stigmatiser quiconque n’agit pas comme lui et ne suit pas ses critères. » Visionnaire.

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