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Crédits immo et Taux d’usure : pourquoi ça pose problème ?

Crédits immo et Taux d’usure : pourquoi ça pose problème ?

La remontée des taux d’intérêt a pour premier effet de diminuer l’enveloppe financière des acheteurs. Il existe aussi une deuxième conséquence, plus pernicieuse et difficilement compréhensible pour les candidats au crédit : l’impossibilité pour un établissement bancaire de financer une opération en raison du dépassement du « taux d’usure ». Explications sur un principe qui divise.
Laurence Boléat
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Cela paraîtra ubuesque aux yeux de certains, mais imaginez que votre courtier vous annonce que votre dossier est excellent, mais qu’il n’est pas finançable… En cause : la protection mise en place par les pouvoirs publics sur l’encadrement des prêts. En effet, pour protéger le particulier des excès, la Banque de France fixe chaque trimestre un taux maximum au-delà duquel les banques ont l’interdiction de s’aventurer, sous peine d’un emprisonnement de deux ans et 300 000 € d’amendes… Autant dire qu’aucun établissement sérieux ne s’y risque. Problème, ce taux maximum, appelé « taux d’usure » est calculé sur la moyenne des taux du trimestre précédent. Ainsi, depuis le 1er juillet et jusqu’au 1er octobre, le taux d’usure est basé sur la moyenne du deuxième trimestre, alors que depuis avril, les taux n’ont pas cessé de grimper. Beaucoup considèrent que ce délai de trois mois, qui se termine au sixième mois, est donc inadapté lors d’une période de hausse continue.

Mais l’autre sujet, beaucoup plus polémique, concerne les différents éléments qui entrent dans le calcul du fameux TAEG (Taux Annuel Effectif Global), l’indice de référence au-delà duquel un prêt est considéré comme « usuraire ». Car la Banque de France ne se contente pas d’utiliser le taux d’intérêt nominal du crédit (soit le taux de base de l’emprunt) : elle se réfère à celui qui intègre quatre autres facteurs, beaucoup plus subjectifs, et très variables en fonction des emprunteurs et de leur projet. Ainsi entrent dans le calcul du TAEG les assurances (décès, invalidité, chômage…), les garanties (hypothèque, caution, nantissement…), les frais de dossier (ceux de la banque ou ceux des intermédiaires type courtier), les frais d’expertise du bien (s’il y a lieu), ainsi que les éventuels frais d’ouverture du compte. 

Une surprotection qui discrimine

À l’arrivée, deux clients à qui l’on propose un taux nominal identique peuvent se retrouver avec un TAEG totalement différent, si par exemple le coût de l’assurance est plus élevé parce qu’un emprunteur est plus âgé ou en mauvaise santé… Ou s’il a choisi de s’assurer au maximum, s’il existe un intermédiaire, ou si la garantie affectée à l’emprunt est plus chère, etc. En réalité, à surprotéger le consommateur, on le condamne parfois à ne pas accéder au crédit, pour des raisons souvent inhérentes à son propre souhait, et parfois en le discriminant… A Orléans, Philippe Lalevée, directeur de l’agence de courtage In & FI, confirme que pour les emprunteurs âgés de 40 à 60 ans, il devient très difficile d’être dans les clous, notamment en raison du coût des assurances. Certains dossiers ne sont d’ailleurs même plus présentés aux partenaires prêteurs, quand ce n’est pas la banque elle-même qui informe les courtiers de ne plus pouvoir travailler avec eux. Or, ces derniers le répètent depuis plusieurs mois : environ 40 % des demandes de prêt ne sont plus finançables en raison du taux d’usure. 

En face, la Banque de France affirme pourtant le contraire, en brandissant des chiffres en volume identique à 2019, après le pic exceptionnel de 2020/2021. Alors, qui a raison dans ce énième bras de fer entre banque et courtage ? Pas forcément celui qui crie le plus fort, mais tout de même… Depuis longtemps, les courtiers en crédit immobilier communiquent beaucoup auprès des médias, et les banques n’ont rien fait pour prendre ou reprendre la vedette sur ce sujet. Il n’est qu’à observer les reportages ou émissions dans lesquels seuls des courtiers sont présents dès qu’il s’agit de parler de financement de l’immobilier. Cette politique de la discrétion est évidemment souhaitée : le monde bancaire évolue dans un univers où le secret est une qualité déontologique, mais aussi une arme en matière de business. Les courtiers ayant pris une place de plus en plus conséquente avec une parole beaucoup plus libre, ils sont souvent les premiers à dénoncer les incohérences du système. 

Un hiatus courtiers / banques ? 

Il y a peu, le gouverneur de la Banque de France s’est exprimé sur le sujet à l’occasion d’une interview dans Ouest France, et ses propos en disent long sur la défiance de l’institution membre de l’Eurosystème envers les banques et les courtiers. Selon lui, « les prêteurs qui réclament un relèvement supplémentaire du taux d’usure sont ceux qui veulent pouvoir prêter plus cher aux Français ». Quant aux chiffres de 40 % avancés par les courtiers, le gouverneur de la Banque de France les juge « peu crédibles. Aucune association représentant les emprunteurs et les familles n’a demandé le relèvement du taux d’usure ». Un argument qui hérisse le poil des intermédiaires, qui demandent qu’à défaut de réactivité, certains frais soient sortis du TAEG, comme leurs propres honoraires. Et c’est sans doute là que le bât blesse. Car lorsqu’un client s’adresse directement à une banque, exit les frais de courtage. Le TAEG ainsi rabaissé peut permettre à une banque de financer un client qui ne pourrait l’être avec un dossier dit « intermédié ». Nouveau coup dur donc pour les courtiers, qui revendiquent leur rôle de mise en concurrence des prêteurs, et ont déjà subi une diminution drastique de leur rémunération versée par les banques. Ils vont devoir patienter sans doute encore quelques mois avant que le relèvement trimestriel des taux d’usure amortisse les hausses successives. Pour l’heure, la profession attend avec impatience le 1er octobre, prochaine date de révision du taux d’usure…

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