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« Fermer les frontières est une solution qui n’a aucun avenir »

« Fermer les frontières est une solution qui n’a aucun avenir »

Tandis que la hausse du prix du bois inquiète les professionnels du bâtiment et de la construction, le Gouvernement a créé un label pour limiter l’exportation de chênes français vers la Chine. François Bacot, président du Comité des Forêts, a décidé de sortir du bois pour s’exprimer sur cette décision et surtout faire avancer une idée : transformer cette industrie en produit de luxe à la française.
Propos recueillis par Laurence Boléat
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Le Gouvernement a créé un label UE pour limiter les exportations de chênes français, notamment vers la Chine, et répondre ainsi à la situation jugée périlleuse de la filière bois. Quelle est votre position en tant que premier réseau professionnel privé ?

L’État se mêle de choses qu’il ne connaît pas et ne comprend pas, et tout cela est basé sur un tissu d’inexactitudes. Si nous vendons des grumes en Chine, c’est parce que, pendant des années, la première transformation française prenait la crème des chênes et laissait de côté ceux qui étaient de qualité médiocre et que l’on ne parvenait pas à vendre. Après la tempête de 1999, la Chine est venue nous acheter les chênes que nous ne vendions pas, à des prix très intéressants. N’oublions pas que lorsqu’un forestier coupe un chêne, il n’est pas pour grand-chose dans l’existence de cet arbre, sauf s’il a fait une bonne sylviculture sur les 20 dernières années pour le maintenir. Ce sont donc les générations des 100 ou 150 ans précédents qui ont permis de faire de ce chêne un bel arbre, reconnu dans le monde entier pour ses qualités. Le sujet est donc que, pour avoir un beau chêne à maturité dans 150 ans, il faut en planter beaucoup et fournir un travail de qualité pendant de multiples années, pour finalement vendre un produit qui ne vaut pas très cher. C’est toute la difficulté : pour reconstituer de belles futaies, il faut que les sylviculteurs fassent un minimum de marge. 

Vendre plus cher aux Chinois, ou à l’export en général, n’est donc pas une mauvaise chose, selon vous ?

Bien sûr que non ! Quand un scieur en France me dit : « Je n’ai pas de chênes », et qu’il m’en propose 120 € le mètre cube, alors que les Chinois m’en proposent 220 €, que feriez-vous à ma place ? Un hectare de reboisement en chêne coûte 7 000 € et, derrière, il y a des décennies de main-d’œuvre, alors qu’aujourd’hui, nous le vendons au même prix qu’en 1970… Avant le pétrole et le plastique, il y avait du bois partout, et les scieurs utilisaient toutes sortes d’essences locales pour fabriquer les outils et les meubles. Après l’avènement du plastique, les scieries qui n’ont pas su s’adapter en proposant de la qualité ont disparu. D’autant que dans ce secteur, ce sont des PME à forte valeur capitalistique, car les outils et le matériel de scierie coûtent cher. En France, nos industries ont décliné par manque de compétitivité, et tout cela mis bout à bout a fait que la forêt a périclité. Le chêne est un produit de luxe qui ne vaut pas cher, et ce n’est pas normal, d’autant qu’aujourd’hui, c’est un produit international. Nous ne vendons pas en Chine pour le plaisir, mais pour reconstituer nos forêts. 

« Faire du chêne un produit de luxe »

Mais comment pouvez-vous garantir que cet argent « chinois » sera réinvesti dans de futures chêneraies françaises ?

C’est le sujet de mon idée. Le fait de donner au chêne français l’image d’un produit de luxe profitera à tout le monde en remontant les marges à tous les étages. Il faut sortir par le haut de ce mauvais débat qui consiste à dire qu’il faut fermer les frontières. Les classes moyennes en Chine ont le désir et les moyens de se payer du beau mobilier ou des objets et prestations en chêne. Nous avons un produit de réputation mondiale, alors pourquoi se protéger ? D’ailleurs, il existe dans la filière des exemples de haute qualité, vendus avec une forte valeur ajoutée, comme nos tonneaux fabriqués avec du chêne merrain. Le problème de rentabilité n’existe que sur les produits courants. En protégeant nos exportations, l’État réagit de façon classique, alors que nous pourrions nous mettre d’accord pour faire de nos superbes produits une industrie de luxe. C’est ce qu’ont su faire les Champenois : il y a soixante-dix ans, l’hectare de Champagne ne valait guère plus que celui du Beaujolais… 

Mais que répondez-vous à tous ces menuisiers, charpentiers, constructeurs qui s’inquiètent en ce moment même de la flambée des prix pour leur activité ?

Je leur réponds la même chose que pour moi : j’essaye de planter avec les quelques sous que l’on me donne, et d’investir dans des outils plus modernes. Il existe de magnifiques scieries en France, qui vendent à des prix rémunérateurs. Il faut donc faire un effort pour améliorer son outil de travail et pour s’organiser au sein de la filière. 

« Ce marché international est essentiel »

L’objection des transformateurs est de dire que les Chinois, eux, transforment la grume jusqu’à la boîte d’allumettes, à moindre coût…

Et nous, pourquoi ne serions-nous pas capables de le faire ? Si nous partons de ce principe, il faut fermer toute l’industrie française. Nos charges sont plus fortes qu’ailleurs, certes, mais malgré tout, certaines entreprises y arrivent, en ayant investi intelligemment. Fermer les frontières est la solution de facilité qui n’a aucun avenir : ce serait la fin de la forêt française, alors que tout le monde réclame du bois. D’ailleurs, soit dit en passant, grâce à l’export, nous avons pu écouler 80 % de notre production de frênes parce que les scieurs français ne sont pas équipés. Ce marché international est donc essentiel. Il faut comprendre qu’il est psychologiquement très dur pour un forestier de mettre beaucoup d’argent dans un produit dont il est sûr de ne jamais voir le résultat. C’est mon cas, et pourtant, à 80 ans, je continue de planter…

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