|
|
|
La guerre des trois aura bien lieu

La guerre des trois aura bien lieu

Serge Grouard, Jean-Philippe Grand, Olivier Carré : dimanche soir, l’un de ces trois hommes saura s’il (re)deviendra maire d’Orléans. Alors qu’une (nouvelle) forte abstention se profile, la campagne du deuxième tour aura atteint des pics de violence verbale. Aura-t-elle permis de « rebattre les cartes », comme le suggère le maire sortant ? Rien n’est moins sûr.
Benjamin Vasset
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur whatsapp

Enfin ! Trois mois après le premier tour, le nom du futur maire d’Orléans sera connu dimanche soir, aux alentours de 21h30. Pour beaucoup, il était vraiment temps que cela se termine : depuis que la date du second tour a été annoncée par Édouard Philippe, la campagne qui s’est déroulée en un petit mois aura été d’une rare véhémence à Orléans, plus habituée aux attaques à fleurets mouchetés qu’aux cris d’orfraie. 

Précautions sanitaires obligent, c’est sur les réseaux sociaux que les partisans des uns et des autres ont pour la plupart œuvré depuis la fin du mois de mai. Les rassemblements publics de plus de dix personnes étant interdits, Twitter et Facebook ont été, notamment, des terrains d’affrontement où (presque) tous les coups furent permis. Entre quelques débats de fonds qui sont passés relativement inaperçus, les invectives, menaces voilées et intimidations en tout genre auront été légion. Les candidats, mais aussi les médias, en ont pris pour leur grade. Cependant, ces prises de bec n’ont, semble-t-il, intéressé que celles et ceux qui étaient depuis longtemps mobilisés par l’enjeu électoral. Le reste des citoyens ont, dans leur ensemble, paru vivre cette campagne d’assez loin, plus préoccupés par la nécessité de recharger leur frigo que par les anicroches repérées ici et là. D’ailleurs, selon un sondage Odoxa publié en début de semaine, seuls 36 à 40 % des électeurs appelés aux urnes dimanche en France ont déclaré vouloir aller voter, le 28 juin. À Orléans comme ailleurs, et malgré les précautions sanitaires prises pour que le scrutin se déroule au mieux, on ne devrait donc pas assister à une ruée vers les isoloirs. 

Un favori : Serge Grouard

Du coup, si le corps électoral qui se déplacera dimanche reste le même que le 15 mars dernier, il y a fort à parier que Serge Grouard retrouvera dans les jours qui viennent le siège qu’il avait laissé, en 2015, à Olivier Carré. Revenu d’une retraite politique forcée depuis sa défaite aux législatives en 2017, l’ancien maire d’Orléans reste le grand favori de ce second tour. Avec plus de 35 % des voix recueillies le 15 mars dernier, il dispose d’une confortable avance sur ses adversaires. Ses partisans restent nombreux et convaincus : ils voient toujours en lui l’homme qui a « embelli Orléans » et a fait reculer l’insécurité depuis sa première élection, en 2001. Les électeurs peu au fait de la chose politique ne connaissent d’ailleurs que deux noms : celui de Jean-Pierre Sueur et le sien. Son sens de la proximité, qui n’est pas neuf, aura été l’un de ses atouts-maîtres depuis qu’il s’est officiellement déclaré, en décembre dernier. Ses aficionados ne lui tiennent pas non plus rigueur d’avoir annoncé qu’il ne reviendrait pas quand il a démissionné pour cause de maladie. Ils apprécient son discours volontariste, sa rhétorique qui fait mouche, et son image d’homme providentiel qu’il s’est forgée depuis neuf mois. Dans une ville qui célèbre Jeanne d’Arc tous les ans depuis plus d’un demi-millénaire, ce n’est pas tout à fait anodin. 

« Les réseaux sociaux ont été des terrains d’affrontement où (presque) tous les coups furent permis »

Resté populaire, Serge Grouard a, sinon, été très actif depuis le 15 mars dernier. Sa chaîne de solidarité lui a permis d’occuper l’espace et de ne pas se laisser déborder par Olivier Carré, qui gérait la crise depuis l’Hôtel de Ville. En a-t-il trop fait ? Certains observateurs neutres murmurent qu’il n’avait pas vraiment besoin de cela et que son avance acquise au soir du premier tour lui permettait de voir venir. Certains de ses adversaires louent cependant le joli coup qu’il a réalisé avec ses 80 000 masques commandés. Aux yeux de ses partisans, il a ainsi fait œuvre utile, et pour eux, il n’y a que cela qui compte. Pour ses contempteurs, le montage qu’il a mis sur pied sera l’erreur qui lui coûtera l’élection. L’enquête de nos confrères de Radio France, parue la semaine dernière, a été le premier coup de canif dans une campagne jusque-là bien maîtrisée. En monstres politiques qu’ils sont, Serge Grouard et Florent Montillot ont pris les devants et fait bloc, en plaçant le sujet sur le terrain de la morale, puis du juridique (voir encadré), l’ordre étant important. Officiellement, les « Orléanais au Cœur » sont persuadés qu’ils ne perdront pas de plumes avec cette histoire. Mais leur conférence de presse organisée jeudi dernier alors que deux jours plus tôt, aucune communication n’était prévue, montre qu’ils ont tout de même perçu le danger. 

Serge Grouard sait ainsi qu’il est le mieux placé pour remporter cette élection, mais ne veut pas crier victoire trop vite. Si l’on examine les résultats du premier tour, il a peu de réserves de voix. Le soutien que lui a apporté Nathalie Kerrien, après une fusion de liste avortée, pourrait certes lui faire gagner quelques points. Mais le candidat des « Orléanais au Cœur » table aussi sur des suffrages venant des électeurs d’Olivier Carré au premier tour, qui pourraient avoir la tentation de voter « utile », selon lui. Orléans reste en effet une terre où la droite traditionnelle reste bien implantée : or, Serge Grouard est le candidat des Républicains, ce qui compte encore pour les gaullistes historiques, et il y en a dans la cité johannique. Durant la campagne du second tour, l’ancien maire d’Orléans a pourtant refusé d’être « cornerisé » à la droite de l’échiquier politique, expliquant qu’il était aussi le candidat du centre. Le week-end dernier, ses adversaires ont tout de même essayé de le coincer de nouveau, diffusant sur les réseaux sociaux une photo de lui en compagnie d’un ancien député FN (1986-1988) venu le soutenir dans sa campagne. 

Un outsider : Jean-Philippe Grand

Dans l’ordre des pronostics arrive ensuite Jean-Philippe Grand. Le candidat écologiste peut conquérir la mairie depuis son alliance avec la liste menée, au premier tour, par Baptiste Chapuis et Dominique Tripet. Si l’on additionne simplement les résultats du premier tour, leur potentiel de voix (environ 32 %) pour le second tour serait insuffisant pour dépasser Serge Grouard, d’autant que certains des électeurs de Jean-Philippe Grand au premier tour auront du mal à soutenir une liste qui accueille aujourd’hui quelques communistes encartés. Le candidat écologiste doit donc jouer l’équilibriste entre sa gauche et sa droite : dans ses prises de parole durant la campagne du second tour, il a ainsi toujours pris soin de ne pas égratigner la centriste Nathalie Kerrien. Depuis un mois, Jean-Philippe Grand s’affiche cependant clairement à gauche, et de gauche. Sa proposition choc de minimum social garanti a d’ailleurs fait mouche : on est pour, on est contre, mais en tos les cas, on en parle. 

Avec cette proposition, Jean-Philippe Grand qui, de par son caractère mesuré, a parfois eu du mal à se faire entendre lors du premier tour, peut ainsi, en dehors de ses propositions en termes d’environnement, bénéficier désormais d’un marqueur fort. Depuis un mois, il a aussi clairement musclé son discours : à Serge Grouard qui égratignait le manque d’expérience de son équipe, il a immédiatement répondu. Enfin, dans la lutte à couteaux tirés que se sont livrés les deux derniers maires d’Orléans, il est apparu comme le candidat qui se plaçait au-dessus de la mêlée. Ses colistiers ont rarement fait du bruit sur les réseaux sociaux, et lui-même n’a pas voulu se mêler de trop près à cette guerre intestine. Les Orléanais pourraient avoir envie de tourner les pages Grouard/Carré, et d’entrer dans une nouvelle ère. Après s’être marqués à la culotte pendant près de trois semaines, les deux frères ennemis ont semblé comprendre, le week-end dernier, qu’il y avait bel et bien un troisième larron sur le ring : en début de semaine, Jean-Philippe Grand a ainsi été la cible de Serge Grouard, qui l’a attaqué sur le volet financier de son projet, l’accusant d’être trop généreux et de vouloir grever les finances de la Ville. S’il parvient toutefois à tirer son épingle du jeu dimanche soir – et ce serait une vraie surprise – le candidat écologiste, qui a reçu les soutiens publics de « ténors » de la scène politique nationale passée et présente (Yannick Jadot, Olivier Faure, Marie-George Buffet, Benoît Hamon…) devra maintenir cette alliance EELV-PS-PC-Génération.s-non encartés… – pendant plus de six ans, et cela ne sera pas une mince affaire.  

Un revanchard : Olivier Carré

Dans ce trio de choc, reste Olivier Carré. Le maire sortant, qui fut le grand perdant du premier tour, semble toujours convaincu qu’il peut renverser la vapeur. Absorbé pendant deux mois par la gestion de la crise sanitaire, il s’est fait depuis un mois beaucoup plus offensif et a martelé l’idée qu’il n’était pas démobilisé. Les dernières annonces du Procureur de la République d’Orléans au sujet de ses voyages (lire encadré) lui ont fait du bien, mais un peu tard, certainement : dans l’esprit de beaucoup d’électeurs, son image reste écornée, et cela ne devrait pas changer avant le second tour. 

En tout cas, ses soutiens, eux, y croient visiblement encore, pilonnant Serge Grouard sur les réseaux sociaux et dans la presse. Sentant peut-être qu’ils n’avaient plus grand-chose à perdre, ils n’ont rien voulu laisser passer à l’homme avec qui ils avaient été élus, pour certains, en 2001, puis 2008 et 2015. Les passes d’armes ont été violentes, notamment lors de l’annonce du « ralliement » de Nathalie Kerrien à Serge Grouard. Les colistiers et soutiens d’Olivier Carré ont aussi voulu rendre la monnaie de leur pièce au candidat des « Orléanais au Cœur », qu’ils suspectent d’être à l’origine de l’affaire des notes de frais. Cela sera-t-il suffisant pour « rebattre les cartes », selon l’expression du maire sortant ? Celui-ci a analysé assez vite que sa campagne du premier tour, mâtinée de stratégie « marcheuse », n’avait pas été une totale réussite. Il a notamment compris qu’il n’avait pas assez travaillé sur les réseaux, de ceux qui peuvent instiller une petite musique dans l’esprit d’électeurs incertains. Sur le fond, Olivier Carré s’inscrit comme le candidat de la continuité, faisant passer le message que, dans cette période de crise, mieux vaut ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. 

D’ailleurs, depuis deux mois, Olivier Carré s’est bâti une image de capitaine dans la tempête : c’est lui qui a tenu la barque, à la mairie, pendant le confinement, et les Orléanais pourraient lui être gréés de sa gestion. Serge Grouard et ses soutiens l’accusent pourtant de n’avoir pas pris assez vite la mesure de la crise et de n’avoir pas commandé assez de masques, ce qu’Olivier Carré dément. Ses adversaires le soupçonnent également d’avoir fait campagne pendant l’entre-deux-tours, en utilisant les moyens de la Ville pour valoriser son action. 

Un point qui, comme pour l’affaire des masques de Serge Grouard, pourrait faire rebondir l’élection bien après le 28 juin. Car si les résultats devaient être serrés, des recours seront sans doute engagés. Cependant, une élection de Jean-Philippe Grand, dimanche prochain, calmerait probablement toute velleité juridique. Mais si l’on dit aux Orléanais que leur déplacement aux urnes, le 28 juin, ne sera que le prélude à un troisième tour, pas sûr qu’ils y trouvent un regain de motivation. Alors, mesdames, mesdemoiselles, messieurs : votez ! Nous verrons bien ensuite.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Autres ARTICLES a lire

Signaler un commentaire

Enable Notifications Oui Plus tard