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Pourquoi le neuf chute en France

Pourquoi le neuf chute en France

En mai 2021, le Premier ministre Jean Castex s’était inquiété de la forte baisse de production de logements neufs et de la fin de la « dynamique positive » observée depuis plusieurs années. Il avait donc demandé un rapport sur la situation, avec l’objectif principal d’identifier les freins à la construction. François Rebsamen, maire de Dijon, a présidé une commission sur le sujet, dont la principale conclusion éclaire sur l’état d’esprit actuel des Français, qui dépasse largement la problématique du logement… 
Laurence Boléat
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Dans la lettre de mission qu’il avait adressée l’an dernier à François Rebsamen, Jean Castex entendait bien orienter l’enquête sur la baisse constatée de la production de logements neufs en France vers les goulots administratifs et financiers qui ralentissaient selon lui la délivrance des permis de construire des logements collectifs. Il demandait ensuite des propositions pour y remédier. Mais plus que les maux habituels de l’administration et les questions d’argent, c’est un tout autre constat qui est ressorti en premier chef du rapport du maire de Dijon. Ce document, que nous avons épluché, met en avant une dimension plus psychologique : si elles savent manier les chiffres et empiler les lois, nos élites ont beaucoup plus de difficultés à répondre au malaise de leurs concitoyens, semble expliquer ce rapport. Rappelons d’abord quelques chiffres, qui témoignent de la forte demande en logements, notamment dans les zones dites tendues (à noter que ni le Loiret, ni aucun département de la région Centre-Val de Loire n’en possèdent pour l’instant, ndlr). Entre 2007 et 2020, le prix des logements anciens a progressé de 61 % à Paris, de 36 % dans les dix plus grandes villes de France et de 17,5 % dans les cinquante plus grandes agglomérations de l’Hexagone, dont Orléans fait partie. Si l’on peut encore se loger dans la métropole, la demande de logements reste néanmoins supérieure à l’offre, et cette évolution des prix en témoigne, tout en signifiant que les acheteurs doivent être – disons-le poliment – de plus en plus solvables pour accéder à la propriété.

Oui mais voilà : d’après la commission Rebsamen, le premier obstacle à l’acte de construire n’a pas grand-chose à voir avec les ralentisseurs habituels de l’administration et des finances publiques : en effet, plus les Français vivent dans les zones urbanisées et proches de l’emploi, moins ils auraient envie d’accueillir de nouveaux habitants ! En clair, la densification de la population est de plus en plus mal acceptée au niveau local, et une opposition grandissante se manifeste face à la construction de nouveaux logements dans les métropoles.

L’acte de construire serait « dévalorisé » 

À tel point que les personnalités, élus et parlementaires qui ont planché sur ce rapport parlent de « dévalorisation d’acte de construire » et évoquent sans vergogne des réflexes malthusiens, théorie fondée sur le principe qu’une démographie incontrôlée est globalement nocive pour l’être humain, et plus largement pour l’équilibre des espèces… Et d’ajouter la volonté d’entre-soi et la crainte de voir son environnement immédiat se détériorer. Les préoccupations environnementales sont également évoquées, la moindre construction étant perçue comme anti-écologique et contradictoire avec les exigences de sobriété. Viennent ensuite l’évocation d’une fatigue vis-à-vis des modes de vie urbains, la congestion des infrastructures et, surtout, des transports.

Qualifié de « refus instinctif », mais somme toute « compréhensible », le phénomène se serait accentué, selon le rapport Rebsamen, avec la crise sanitaire. Face à ce besoin d’espace et de respiration de la population, qui influence fortement les décisions des responsables politiques locaux, le constat est là : quelle que soit leur appartenance politique, les « maires bâtisseurs » se font rares, et le résultat des dernières municipales a entériné la tendance. À tel point que le débat sur le logement s’hystériserait de plus en plus, porté par les réseaux sociaux et les pétitions en ligne, faisant émerger des acteurs nouveaux face aux opposants traditionnels qui ont plutôt l’habitude de déployer leur action sur le terrain contentieux.

« Comportements égoïstes »

Pour répondre à cette angoisse existentielle et pourtant bien réelle des habitants, la préconisation numéro un de François Rebsamen ne propose aucunement de creuser le sujet pour comprendre – et éventuellement apprendre, par exemple, que certaines zones rurales seraient ravies d’accueillir des entreprises et leurs salariés, et par conséquent de désengorger les villes – mais de « déployer un discours politique offensif afin de réhabiliter l’acte de construire ». Il s’agirait donc de marteler – pardon, de convaincre – qu’en réalité, les états d’âme des urbains ne sont que des chimères et que leurs démarches ne sont que des « comportements égoïstes » (sic) face aux défis nationaux ! Des précisions sont apportées sur les arguments à utiliser : affirmer par exemple qu’une densité peut être « heureuse », à condition bien sûr de veiller à la qualité des logements et des espaces. Il est aussi demandé d’assumer la « profonde convergence entre densification et préoccupations environnementales » et d’enfin rappeler le devoir social de chacun vis-à-vis de tous ceux qui ont besoin d’un logement. Des éléments de langage qui renvoient dos à dos les mauvais promoteurs et méchants habitants…

Puis le rapport convient que le discours politique ne suffira pas. Alors, que faire ? Revenir fissa vers la zone de confort préférée des politiques (et les réponses soufflées par le chef du Gouvernement) : passer par des mesures de soutien financier. Car bien évidemment, les maires expliquent que la dégradation des marges financières les empêche d’accueillir de nouveaux habitants. Pourquoi ? À cause de la suppression de la taxe d’habitation qui, même si elle a été compensée intégralement sur le stock, aurait détruit le lien fiscal entre la commune et ses nouveaux arrivants…

Taxe, détaxe, retaxe… 

Sur ce sujet, le rapport est intarissable. À tous les niveaux, on traque, malaxe, décortique, compense et réaffecte dans leurs moindres recoins toutes les taxes du bâtiment, dans un grand frétillement de bonheur fiscaliste. On propose de déstocker le foncier de l’État pour montrer l’exemple ; on enjoint tous les acteurs à communiquer, on suggère d’utiliser la procédure électronique pour réduire les délais, on appelle tous les services à la rescousse pour alimenter un logiciel de statistiques nationales, le tout avec des paraphrases de remplissage et dans un langage abscons truffé d’acronymes. Las… Si l’oxygène réclamé par les Français pouvait se monnayer, on pourrait allègrement économiser du blabla !

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