Ce con

On avait oublié à quel point ils nous tapaient sur le système, combien on ne pouvait plus les voir, ces cons qui nous gâchent la vie et nous mettent les nerfs en pelote à toute heure du jour et de la nuit, ces emmerdeurs qui ne nous avaient pas manqué, ces empoisonneurs du quotidien dont l’ombre carnassière s’était évanouie depuis le premier jour des vacances d’été. Cet abruti qui nous colle aux fesses sur la RD 2020, ce crétin qui fait ronfler sa moto sur les quais de Loire, ce patron qui n’entend rien, ce salarié qui n’écoute pas : on pensait qu’ils n’existaient plus, mais ils avaient juste, comme nous, changé de bermuda et transhumé de la chaise de jardin juqu’à la serviette du bord de plage. Parce qu’en y réfléchissant bien, dans l’oasis de bonheur dans lequel nous baignions, il y avait toujours ce chauffard qui slalomait sur l’autoroute, ce motard qui nous réveillait pendant la sieste, cet empêcheur de buller en rond qui nous rappelait sans vergogne que le con, aussi, prenait des vacances. Ces vacances dont on pense qu’elles dureront toujours et dont on croit qu’elles vous auront fait comprendre le vrai sens de votre existence; ces vacances qui vous semblent pourtant bien loin quand vous rechaussez vos pantoufles en cette rentrée des classes. Les habitudes qui reviennent, les impôts à rattraper, les courses à se refarcir le samedi, les nuits pas assez longues et les jours toujours trop courts…  : la réalité revient en boucle, et vous comprenez alors, la tête basse, que vos bonnes résolutions ont cessé d’exister le matin-même où votre réveil s’est remis à sonner. Alors ce con que vous recroisez en ce premier jour de rentrée vous est juste insupportable. Ce con, c’est vous, c’est moi ; c’est lui qui vient retoquer à votre porte pour vous rappeler, en fin de compte, que la vie est belle parce qu’on a toujours quelque chose à lui reprocher.