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Déformation

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Benjamin Vasset
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Elle s’appelle Adèle, elle a 30 ans, elle veut changer de vie. Après avoir fait carrière dans la communication, cette Orléanaise souhaite désormais se tourner vers un métier-passion, et pas n’importe lequel : celui de vitrailliste. Le passage n’est pas évident, il faut bien tout peser ; des paramètres divers entrent en compte : les rentrées d’argent, la vie familiale, la peur de se tromper. On ne fait pas ce choix d’un claquement de doigts, on le soupèse, on doute beaucoup, on a besoin de se le faire confirmer. Vers qui se tourne-t-on, alors, en premier lieu ? Vers Pôle emploi, puisque Adèle bénéficie de l’assurance-chômage depuis trois mois. Elle envoie alors un mail, demande à sa conseillère des informations sur ce métier qu’elle veut découvrir, se dit même qu’elle va obtenir un rendez-vous pour en parler. Elle est sur le début du chemin, elle balbutie ; elle recherche comme une sorte d’assentiment qui tendrait vers un sentiment. Bref, elle guette un signe de vie, quelque chose d’humain, comme un éclair de bienveillance.

La réponse de Pôle emploi ne tarde pas. Adèle découvre dans sa boîte aux lettres électronique un mail froid comme une lame, qui prend la forme d’une réponse automatique, où on lui rappelle, dès la quatrième ligne, que son projet doit être « validé par Pôle emploi dans le cadre de son PPAE, par l’intermédiaire d’un diagnostic approfondi ». On lui indique ensuite qu’elle doit aller consulter la page Je me forme sur notre site, ou bien se rendre sur le site Emploi Store, où elle trouvera des « services pertinents pour tester (son) projet de formation ». On lui conseille également de se servir du fameux outil MIT « pour aller tester son projet de formation au marché du travail dans notre région ». On lui indique finalement, en bout de mail, qu’elle sera quand même accompagnée par « un conseiller spécialisé », dont on lui dit qu’elle peut le contacter pour convenir d’un rendez-vous.

Avant d’arriver à cette dernière ligne de sa lecture, Adèle a eu le temps de se décourager, de refaire le film dix fois dans sa tête, de se demander si son choix était vraiment le bon. Elle se dit qu’elle se retrouve à l’entrée d’un labyrinthe administratif dans lequel rien ne sera simple, avec ses normes strictes, ses « process » et ses sigles. Adèle se perd dans ses pensées, s’interroge encore. Elle fait l’expérience de Kafka. Elle veut
juste être vitrailliste. 

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