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« Ils se demandent où ils sont… »
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« Ils se demandent où ils sont… »

« Ils se demandent où ils sont… »

121 Ukrainiens sont arrivés jeudi et vendredi derniers à Orléans, où ils ont été accueillis puis pris en charge par des familles locales. Après l’urgence de ces premiers jours, les autorités publiques tentent d’organiser au mieux la vie bouleversée de ces femmes et de ces enfants sur le territoire.
Benjamin Vasset
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La semaine dernière, la Ville d’Orléans a accueilli 121 ressortissants ukrainiens arrivés après vingt-sept heures de voyage. Ils ont été pris en charge au centre sportif de La Source, dont le terrain principal fut transformé en une imposante esplanade de tentes. Difficile de décrire, en quelques mots forcément futiles, la douleur de ces femmes et de ces enfants débarqués d’un pays sous les bombes et débarquant, éberlués, dans un autre dont ils ne connaissent pas grand-chose. Des visages marqués, des regards dans le vide et autant d’existences brisées : vendredi dernier, on a pu constater sur place ce que la guerre retirait à la vie. Quelques gamins faisaient un peu de vélo sous les yeux de leurs mères qui, pour certaines, connaissaient déjà la condition de veuve. Feutres en main, d’autres loupiots dessinaient parfois de jolies choses, sans avions, ni haine, ni mitraille : les enfants ont une capacité de résilience sidérante. Régine Bréant, adjointe orléanaise à la solidarité, évoqua la « très grande dignité » de ces personnes qui, pour beaucoup d’entre elles, avaient déjà tout perdu. « Beaucoup sont hébétées, un peu hors-sol. Elles se demandent où elles sont », résumait l’élue. 

Cette grosse centaine d’Ukrainiens a été accueillie « dans les meilleures conditions », s’est congratulée la mairie d’Orléans, laquelle a mobilisé plusieurs de ses élus, mais aussi des agents et une partie de sa réserve communale pour accompagner ces ressortissants arrivant sur son territoire.

Protection temporaire

Au centre sportif de La Source, le Secours catholique du Loiret proposait, lui, des vêtements à celles et ceux qui en avaient besoin. Mais déjà, à peine débarqués, il fallait passer par la case administration, avec des formulaires et des papiers à remplir afin de préparer la demande, obligatoire, de « protection temporaire » mise en place à l’échelle européenne. Ce statut leur ouvrira pour six mois certains droits, comme une allocation de vie calculée selon le nombre de personnes composant le ménage et le mode d’hébergement. Elle s’élève par exemple, selon la Préfecture du Loiret, à 17 € par jour pour une famille de quatre personnes. Cette protection temporaire permet également aux ressortissants d’avoir leurs frais de santé pris en charge via la Protection Universelle Maladie (Puma) et une complémentaire santé associée. Avec ce statut différent de celui de demandeur d’asile, les Ukrainiens accueillis peuvent aussi travailler en France « dans le cadre des dispositifs réglementaires » et obtenir « sous conditions » un soutien dans l’accès aux logements. Voilà sur le papier ; dans les faits, la Préfecture du Loiret reconnaît que la fameuse allocation de vie mentionnée plus haut peut n’être débloquée qu’après un mois. En attendant ? Certaines personnes déplacées ont ramené un peu d’argent dans leurs bagages, tandis que d’autres vont être, durant ce laps de temps, dépendants financièrement de leurs familles d’accueil. 

Familles d’accueil

Dans le cadre de la démarche initiée par la Ville d’Orléans en lien avec sa jumelle Cracovie, 70 familles se sont proposées pour accueillir des ressortissants dans la cité johannique. Retraité et directeur d’une association loirétaine venant en aide aux chefs d’entreprise en difficulté, Jean-François fait partie de ces Orléanais qui ont décidé de franchir le pas. Les yeux humides et la gorge nouée par l’émotion, il explique s’être porté volontaire en pensant à ses parents qui ont fui l’Alsace en 1940 sous l’avancée allemande. Alors, l’histoire de ces Ukrainiens contraints de quitter leur pays résonne fortement en lui. C’est la première fois que Jean-François accueille des personnes réfugiées. On lui présente un couple qui, à vue d’œil, est du même âge que lui. Mais aucun des deux ne comprend le français, ni ne parle anglais. Un agent de la mairie vient cependant montrer à hébergeant et hébergés l’existence d’outils de traduction sur Internet, en espérant que cela puisse mettre un peu d’huile dans les rouages indicibles du langage. 

La mairie d’Orléans assure d’ailleurs qu’accueillants et accueillis ne sont pas livrés à eux-mêmes : le CCAS dit veiller au grain, et un numéro d’urgence a ainsi été mis en place 7 jours/7 pour toute question utile. Au niveau de la Préfecture du Loiret, on explique que des associations spécialisées dans le domaine social, en l’occurrence l’Aidaphi et Imanis, ont également été mises dans la boucle pour vérifier notamment « la qualité des propositions » fournies par les familles qui se sont portées volontaires pour accueillir les ressortissants ukrainiens. Car l’accueil, tout généreux qu’il puisse être, recouvre des réalités que certains ne maîtrisent pas toujours. Les accueillants, par exemple, ne savent pas combien de jour les familles qu’ils hébergent resteront chez eux avant de trouver une solution plus pérenne. 

Dans les écoles

Régine Engström, la préfète du Loiret, l’assure toutefois : il y a eu, ces derniers jours, un « énorme élan de solidarité » dans la région. Un élan qui a parfois eu du mal à être canalisé. Les dons en nature – alimentation, vêtements – ont ainsi afflué dans le Loiret, mais les contraintes logistiques sur place, en Ukraine comme en Pologne, où une grande majorité des Ukrainiens transitent, incitent aujourd’hui les autorités de l’État à demander aux collectivités, entreprises ou particuliers de privilégier les « dons en numéraire » (à des associations identifiées comme la Croix-Rouge, par exemple). Et puis, alors qu’en France, certains trépignent et se demandent comment faire pour porter secours aux populations en souffrance, la Préfecture du Loiret rappelle, comme une évidence, qu’il ne faut « surtout pas se déplacer en Ukraine ». Et éviter aussi les initiatives comme celle qu’a prise Patrice Douchet, le directeur de la Tête Noire de Saran, parti en Pologne pour ramener avec lui, dans son véhicule, une dizaine de ressortissants ukrainiens. « L’accueil est un métier », précise diplomatiquement la Préfète. 

L’accueil, justement, les services déconcentrés de l’État et les collectivités essaient de le rendre le plus efficace possible. Malgré toutes les bonnes volontés exprimées, il existe parfois des désaccords sur la façon de procéder, comme par exemple sur le dossier de l’accompagnement des enfants dans les établissements scolaires : la mairie d’Orléans aurait ainsi voulu que ceux qu’elle accueille dans les écoles dont elle a la compétence (maternelles, primaires), soient autant que possible regroupés. Ce n’est visiblement pas la politique du rectorat, qui indique que « tous les établissements peuvent être mobilisés » et doivent suivre un protocole d’accueil très strict, sur le modèle de ce qui est entrepris pour accueillir les élèves allophones. Face aux médias, les services de l’Éducation nationale dans le Loiret disent ainsi vouloir tout mettre en place pour « éviter l’isolement » des petits Ukrainiens. Tout est couché noir sur blanc : « Établissement du parcours scolaire antérieur de l’enfant », « identification des besoins », « affinage des emplois du temps », « inscription des enfants dans les apprentissages et dans un avenir possible » (sic)… « Il faut donner à voir la fraternité française » (re-sic), avance le rectorat. Sauf que la barrière de la langue reste malgré tout tenace. « Des interprètes ? Nous avons des professeurs d’allemand ukrainiens dans l’Académie qui peuvent être mobilisés, répond le rectorat. Nous disposons aussi de ressources franco-
ukrainiennes, avec par exemple des systèmes d’images pour créer le contact. » Des « professeurs-experts », peuvent aussi, dit-on, intervenir en visio pour conseiller leurs collègues qui reçoivent des enfants ukrainiens dans leur classe. Sur le terrain, des enseignants font cependant part d’une certaine forme de dénuement pour prendre en charge ces nouveaux élèves au parcours de vie cabossé. « On se sent un peu seuls », nous indique d’ailleurs un professeur. 

Stop polémiques

Alors oui, sur le papier, tout est calé. Mais dans la durée, quelle réalité prendra cet accueil de ressortissants ukrainiens, dont le Gouvernement a annoncé qu’il s’élèverait à au moins 100 000 en France ? Et jusqu’à quand cette solidarité tiendra-t-elle avant que des polémiques ne viennent l’écorner ? Car il y a déjà des Français bien de chez eux, imbéciles heureux qui sont nés quelque part, qui n’ont pas attendu pour couiner sur les réseaux sociaux en affirmant ne pas comprendre que des étrangers puissent bénéficier de telles conditions d’accueil. À l’autre bout du spectre idéologique, d’autres ceux qui s’émeuvent de voir que les Syriens et les Afghans n’ont pas été, dans un passé proche, reçus à bras aussi ouverts. Face au drame qui se noue à l’est de l’Europe et aux visages aperçus vendredi à Orléans, on se dit qu’il n’y a, pour le moment, que deux choses véritablement valables à faire : se taire ou agir.

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