|
|
L’homme qui a piégé Hitler

L’homme qui a piégé Hitler

François Guéroult, journaliste à France Bleu Orléans, vient de publier un nouveau roman historique intitulé Contre Hitler, Le Destin de Hans Litten. Il met en lumière le destin de cet avocat berlinois d’origine juive, qui a mis à mal Hitler lors d’un procès en tentant de révéler l’horreur du projet nazi. 
Gaëla Messerli
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur whatsapp

Comment vous êtes-vous intéressé à Hans Litten, cette figure que l’Histoire semble avoir oublié ?

C’est un hasard de lecture. Je m’intéresse beaucoup à l’histoire de l’Allemagne pendant l’entre-deux guerres, et plus généralement à celle de la Seconde guerre mondiale. Je suis tombé sur le nom de Hans Litten dans une biographie du Führer, dans laquelle il était indiqué qu’Hitler avait été obligé de s’expliquer en 1931 dans un procès à Berlin et qu’il avait été embarrassé… J’ai trouvé cela intéressant car, dans un autre procès en 1923, Hitler avait transformé ce passage devant la Justice en tribune politique. Ce n’était donc pas la même image qui était renvoyée.

J’ai ensuite découvert un documentaire de la BBC concernant Hans Litten, puis des biographies en allemand et des livres en anglais, alors qu’il n’y avait rien écrit en français. L’une des sources importantes était la mère de Litten, qui s’est exilée en Angleterre et a écrit un livre.

En résumé, qui était Hans Litten ?

C’était un avocat berlinois qui venait d’un milieu favorisé, né d’un père juif converti au protestantisme et d’une mère protestante. Il a fait de brillantes études, mais a refusé d’intégrer un cabinet prestigieux pour monter son propre cabinet. Il avait une fibre sociale et défendait plutôt les petites gens. Même s’il n’a jamais été militant communiste lui-même, il a notamment défendu des communistes qui ont été passés à tabac par quatre SA (formation paramilitaire du parti national socialiste, ndlr).

Comment Hans Litten en vient-il à se confronter à Hitler ?

Litten a l’idée de convoquer Hitler pour un procès en 1931. Clairement, c’est un piège. Hitler était en effet déjà intervenu lors du procès de sa tentative de putsch ; il avait alors juré qu’il renonçait à toute forme de violence et qu’il voulait conquérir le pouvoir par la voie électorale. En 1931, Litten cherche à montrer que c’est un parjure. Il faut se rappeler qu’à l’époque, Hitler se donnait une forme de respectabilité. Il avait décroché un premier succès électoral pour le parti nazi aux élections de 1930, mais tout, pour lui, n’était pas gagné. Rappelons en effet qu’Hitler a eu au départ le pouvoir avec les conservateurs, avec qui il forge une alliance politique et économique. Une condamnation d’Hitler à ce procès aurait peut-être refroidi certains de le financer…

Torturé par les nazis

Le destin de Litten est tragique, ensuite…

Même si Litten était brillant, il était une sorte de lanceur d’alerte. Sa position était borderline pour la procédure de l’époque, peut-être trop moderne. Lors du procès de 1931, il se fait reprendre par le juge. Cette audience est très médiatisée, tous les journaux en parlent en Allemagne : même Joseph Goebbels en donne sa propre version dans son journal. Dans la presse nazie, Hans Litten est au départ dépeint comme « l’avocat rouge », puis il devient « l’avocat juif ». Au final, il sera arrêté après l’incendie du Reichstag et envoyé dans les camps. Son arrestation est surtout médiatisée en Allemagne. La France ne s’y intéresse pas vraiment, même si on retrouve dans la presse l’information de son arrestation, arrivée par des réseaux communistes. Une campagne de soutien va cependant être menée en Angleterre au niveau des avocats et des intellectuels, mais elle ne prendra pas en France.

Et Litten se suicide à Dachau, en 1938…

Même s’il n’y a pas eu d’autopsie, on sait qu’il avait demandé à sa famille de quoi se suicider, et qu’il avait déjà fait une tentative assez tôt. Il se suicide probablement car les nazis ont voulu rouvrir un dossier de la République de Weimar* et l’ont torturé pour lui faire avouer que son client était coupable. Sous la torture, ils ont réussi même si, une fois ses esprits retrouvés, Litten clame ensuite que c’est faux. Il culpabilise et il est aussi en mauvais état physique : un tracteur lui a roulé dessus et, lors de ses séances de torture, il a quand même perdu un œil…

Son nom a complétement été oublié en France. Pourquoi ?

Sa mémoire n’a pas été portée par la communauté juive ; elle a été surtout confisquée par la RDA, qui en a fait un héros. Il n’a pourtant jamais adhéré au Parti communiste, mais son frère était installé en RDA. Lors de la réunification, Hans Litten a été redécouvert car à Berlin, une rue portait son nom depuis les années 50. Or il a été question, comme certaines rues, de la débaptiser. Des voix se sont élevées, car Litten était un vrai symbole de résistance contre le nazisme. D’ailleurs, depuis 2001, la Maison des avocats à Berlin porte son nom, et une plaque y a été posée en 2009.

Pourquoi avoir fait le choix du roman ?

Je ne suis pas un historien, mais j’essaye d’être rigoureux. Je trouve que le roman historique permet de rentrer dans l’Histoire avec un grand H, à travers des petites histoires. Il permet de poser des questions. Ce qui me frappe beaucoup et qui reste pour moi un mystère est comment une nation aussi éduquée a pu tomber dans une telle barbarie…

La préface de votre livre est signée Arno Klarsfeld…

Oui, j’avais envie d’une préface. Comme je vous l’ai dit, mon livre est un roman historique : même si les faits concernant Litten dans le livre sont réels, cela m’obligeait à un choix : j’ai donc pensé à Arno Klarsfeld, car il devait présenter une soirée au Mémorial de la Shoah où était diffusé le film de la BBC sur Hans Litten en présence de Patricia, sa nièce. En raison d’un empêchement de dernière minute, il n’a pu assister à la soirée, mais il l’avait préparée, et quand je l’ai contacté, le nom de Litten lui parlait. Il a lu mon manuscrit et il a accepté. Sa préface est intéressante, car il fait un parallèle avec sa propre histoire de famille et a finalement justifié mon choix narratif. Sinon, nous avons eu la chance que Patricia Litten, la nièce d’Hans, nous fournisse la photo de son oncle pour la couverture. Elle ne l’a pas connu car elle est née après sa mort, mais c’est la dépositaire de sa mémoire. Elle soutient le livre et aimerait venir à Orléans parler de la vie de son oncle. Mais il faudra attendre pour cela de meilleures conditions sanitaires… 

*Régime politique de l’Allemagne entre la fin de la Première guerre mondiale et l’instauration du IIIe Reich.

Plus d’infos
François Guéroult, Contre Hitler, Le Destin de Hans Litten, éditions Infimes, 14 €

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Autres ARTICLES a lire

Signaler un commentaire