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« On a l’impression d’être les derniers des derniers »

« On a l’impression d’être les derniers des derniers »

Face à la crise sanitaire et des cours toujours en distanciel, les étudiants multiplient les rassemblements pour réclamer la réouverture des universités. À Orléans, certains d’entre eux, partagés entre colère et détresse, témoignent.
Hugo De Tullio
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Selon une étude publiée par l’Observatoire de la vie étudiante, près d’un tiers des étudiants présenteraient des signes de détresse psychologique durant la période de crise sanitaire. Autre chiffre alarmant, précisé cette fois par un sondage Ipsos pour le syndicat étudiant Fage : le confinement aurait engendré un décrochage scolaire chez 84 % des étudiants interrogés.

Face à ces statistiques et aux nombreuses mobilisations étudiantes rencontrées ces dernières semaines, le Premier ministre Jean Castex a annoncé fin janvier de nouvelles mesures, comme la reprise en présentiel des travaux dirigés (TD) en demi-groupes en première année. De son côté, Emmanuel Macron a souhaité, le 21 janvier, le retour des cours en présentiel une journée par semaine, pour toutes les promotions. Pour lutter contre la précarité, le président de la République a également annoncé que l’ensemble des étudiants pourront avoir accès à deux repas par jour à 1 € dans les restos U.

Pour Marielle Brame, présidente de l’UNEF (principale organisation étudiante) à Orléans, l’annonce de la reprise des TD est « une bonne chose », même si ce n’est pas suffisant : « on n’a pas été pris en considération, on a l’impression d’être les derniers des derniers », lance-t-elle. Un sentiment partagé par de nombreux étudiants, comme Ryan*, 19 ans, en première année de Licence de Sciences. Celui-ci n’a plus de cours en classe depuis le mois d’octobre dernier : « ce n’est pas top, c’est difficile, surtout en première année, lâche-t-il. Je suis venu à l’Université pour apprendre, mais pas devant une machine qui parle. »

Âgé de 20 ans, Eliott est, lui, en deuxième année à l’IUT d’Orléans, en chimie. Quotidiennement devant son ordinateur pour étudier, ce jeune homme assure fatiguer « beaucoup plus qu’avant. Nous avons les mêmes horaires, c’est une grosse masse de cours, sauf qu’on est chez nous, entouré de distractions : ce n’est pas comme une salle de classe… »

Un nouvel ami : l’ordinateur

Si ces deux étudiants ne comptent pas abandonner, Flavien, en deuxième année de Licence Informatique, songe sérieusement à changer de voie : « c’est vraiment compliqué, surtout au niveau de la motivation. J’en ai un peu marre… Le confinement m’a fait réfléchir, et je n’ai pas envie de continuer dans cette filière-là. »

Malgré la difficulté de faire cours à distance, certains professeurs jouent le jeu, témoignent les étudiants. « Ils comprennent la situation et font tout pour nous aider. Mais d’autres professeurs ne mettent pas l’intégralité de leurs notes sur la plateforme en ligne alors, si vous n’êtes pas présent, vous n’avez pas tous les cours », déplore Ryan. Autre problème : Internet. Lors des périodes de partiels réalisés en ce début d’année, plusieurs bugs et des sites saturés en raison du surnombre de connexions ont déstabilisé des étudiants. « Des questions ne s’affichaient pas correctement, il y avait aussi des erreurs dans les saisies de copies, et des examens saccadés alors qu’ils étaient chronométrés », regrette la présidente de l’UNEF.

 « Je me suis senti dans une solitude incroyable… »

Mais la crise sanitaire n’est pas seulement d’ordre scolaire ; elle est aussi sociale. L’isolement fait partie des préjudices ressentis par les jeunes. Si Eliott et Ryan ont la chance de vivre dans une maison avec leur famille, ce n’est pas pour autant qu’ils échappent à la solitude. « On est tout seul, sans la présence de professeur, confesse le premier nommé. Devant mon partiel, je me suis senti dans une solitude incroyable… » De son côté, Flavien, originaire de Saint-Étienne et habitant, seul, dans une chambre universitaire de 19 m2, se sent « isolé. Et même depuis la fin du reconfinement, je n’ai pas l’impression d’en être sorti, dit-il. Je sors parfois prendre l’air, c’est tout. C’est long, je suis en train de péter un câble. » L’étudiant en informatique avoue qu’aller voir un psychologue l’aiderait beaucoup, car parfois, « ça ne va pas bien du tout ». Et alors que le Gouvernement a annoncé la création d’un « chèque-psy » pour les étudiants en détresse, Flavien soutient qu’il n’a toujours pas d’informations pour prendre rendez-vous. À ce sujet, Marielle Brame stipule qu’un seul psy pour 20 000 étudiants est mis en place sur le campus orléanais.

L’autre enjeu majeur de cette pandémie est la crise financière, qui touche les jeunes de plein fouet. En CDI dans le secteur de la restauration depuis deux ans, Eliott ne peut plus travailler et est désormais au chômage partiel : « mes amis recherchent beaucoup, mais ça n’emploie pas », soupire-t-il. « Beaucoup de mes connaissances ont aussi perdu leurs jobs, ajoute Ryan. Et il faut savoir que la bourse ne couvre pas toujours les besoins d’un étudiant… » Cette bourse, Flavien en est bénéficiaire, et elle l’aide beaucoup. Mais cet étudiant a quand même voulu travailler l’été dernier, sans succès. « Je continue mes recherches d’emploi dans les fast-foods ou des magasins, raconte-t-il. J’ai été ric-rac, mais grâce aux distributions faites au campus par le Secours Populaire, j’ai pu remonter. » Le garçon de 22 ans est bénéficiaire, mais aussi bénévole de l’association pour, dit-il, « avoir une occupation en plus ».

Sombre horizon

Si l’avenir pour tous ces étudiants peut effrayer, Ryan ne veut pas, pour autant, abandonner : « mon futur est en jeu, alors je bosse », assène-t-il. Mais parfois, la volonté ne suffit pas : par exemple, dans le cas d’Eliott, à la recherche de stages pour le mois d’avril, seule 10 % de sa promotion a réussi à en trouver un, contre 75 % en temps normal. « On est obligés de faire un stage de 10 semaines dans un laboratoire, mais ces derniers ne prennent pas le risque d’engager un stagiaire », raconte le jeune homme.

Alors, ces étudiants égrènent leurs revendications : la revalorisation des bourses, davantage de cohérence et de concertations de la part de l’exécutif, ou encore la demande des cours en présentiel pour éviter les inégalités numériques. « L’État doit prendre conscience, et pas seulement par les mots, de la situation des étudiants, demande Ryan. Le Gouvernement dit que nous incarnons la jeunesse et le futur ? Alors si c’est vrai, qu’il assure ce futur. » 

* Le prénom a été modifié.

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